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Pour mieux faire face aux renégociations de conventions collectives dans le secteur public—qui devraient atteindre un nouveau degré de tension cet automne—les trois principales centrales syndicales québécoises (CSN, FTQ, CSQ) ont annoncé en avril 2022 la formation d'un front commun. Il s'agit du onzième de l'histoire de la province, le premier ayant eu lieu il y a 51 ans, en 1972. Les syndicats avaient alors uni leur force pour faire pression sur le plus gros employeur de la province, l'État. Résultat: la grève la plus importante de l'histoire du Québec et des gains massifs pour les travailleurs.
Alexis Lafleur-Paiement, chargé de cours en philosophie à l’Université de Montréal et spécialiste des idées et des institutions politiques, explique. "À la fin des années 1960, les grandes centrales syndicales (la CSN, la FTQ et la CEQ) sont bien implantées dans la fonction publique et dans plusieurs secteurs industriels au Québec. Une perspective d’affrontement avec le patronat est portée par plusieurs dirigeants syndicaux de l'époque."
En 1972, la revendication phare des travailleurs est un salaire minimum de 100$ par semaine pour les employés du secteur public et parapublic (environ 35 000 $ par année ajusté pour 2023). À l'époque, c'est à peu près 50% des travailleurs de la fonction publique qui font moins que ce salaire. Pour certains employés, cela représente une augmentation de salaire de 40%.
En mars, les négociations bloquent et le 11 avril 1972, 210 000 travailleurs entrent en grève. Face à cette mobilisation, le gouvernement de Robert Bourrasa déclare une loi spéciale pour interdire la grève et fait emprisonner les trois principaux dirigeants syndicaux pour avoir appelé à continuer la grève. Celle-ci s'est rapidement transformée en mouvement social généralisé, obtenant le support d'une grande part de la population. Des manifestations étaient organisées partout dans la province, de même que nombreuses actions de désobéissance civile.
À Sept-Îles, les travailleurs en viennent carrément à bloquer la ville tout entière. Une immense assemblée déclare la fermeture de tous les commerces non essentiels de la ville, et prend par la suite le contrôle des routes, de la radio locale et de l'aéroport. Après des affrontements avec les autorités, les grévistes en viennent à déclarer la ville "sous le contrôle des travailleurs". Même si cette insurrection prend fin rapidement, la pression est immense sur le gouvernement québécois. Finalement, dans leur nouvelle convention collective, les travailleurs obtiennent le 100$ par semaine en plus d'une clause d'indexation des salaires.
Lafleur-Paiement ajoute que le front commun de 1972 a eu des répercussions importantes en dehors de la fonction publique et parapublique. "À la suite de la répression du mouvement, une grève sauvage est déclenchée en mai, qui implique de nombreuses industries privées [incluant les travailleurs de Sept-Îles]. Les travailleurs du secteur privé ont donc profité indirectement des gains dans le secteur public et ont pu établir leur propre rapport de force avec leurs patrons."
"Ce qu’il faut comprendre, c’est que les gains des travailleurs dans le secteur public sont en général profitables pour tous les travailleurs. En effet, puisque le gouvernement est le plus gros employeur au Québec, les autres employeurs ont tendance à suivre (au moins en partie) ses normes pour ne pas perdre leur main-d’œuvre, surtout lorsque le chômage est bas."
Selon Lafleur-Paiement, c'est l'unité et la ténacité du mouvement syndical qui a permis des gains aussi importants. Malgré la répression importante du gouvernement, les travailleurs ont continué leur grève, et ont osé augmenter la pression. C'est ce même esprit combatif qui a permis des gains importants lors du deuxième front commun, en 1975-76.
"En 1976, les travailleurs du secteur public obtiennent des hausses de salaire, une augmentation des congés payés et l’égalité salariale homme-femme. Ces gains ont un impact sur les conditions des travailleurs du secteur privé, car les patrons doivent s’ajuster s’ils ne veulent pas perdre leurs employés aux dépens du secteur public."
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