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Le 23 novembre 2023 restera gravé dans l'histoire du Québec et du Canada, avec 566 000 travailleurs en arrêt de travail. Cette journée marque ainsi le plus grand mouvement de grève depuis celle d'AT&T en 1983 en Amérique du Nord, qui avait mobilisé 675 000 travailleurs du secteur de la téléphonie.
Les membres du Front commun intersyndical, représentant 420 000 travailleurs, ont voté à 95% en faveur d'une grève générale illimitée, pas encore déclenchée, mais toujours en vue. S'ajoute à eux la Fédération Autonome de l'Enseignement (FAE), avec 66 000 membres et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui représente plus de 80 000 travailleurs en soins.
Les grévistes revendiquent une augmation majeure des salaires pour pallier à la difficile hausse du coût de la vie, une indexation de leur salaire à l'inflation pour éviter que la situation se reproduise, une hausse immédiate de 100$ par semaine pour tous les travailleurs, de même que de meilleures conditions de travail et de pratiques afin de renforcer les services publics et d'attirer de nouveaux travailleurs.
« C'est historique, on n'a jamais vu ça », lance Réjean Leclerc, président de la Fédération de la Santé et des Services Sociaux de la CSN (FSSS-CSN), en entrevue avec l'Étoile du Nord. Selon lui, ce qui se passe est un résultat de l'inflation étouffante, de même que des réformes qui enlèvent du pouvoir aux travailleurs dans l'organisation de leur milieu de travail. C'est aussi une question de « services qui se détériorent. »
Il ajoute que « plus ça va, moins les besoins sont comblés, quand les gouvernements décident de sous-financer les services. C'est là le vrai problème. » Si le nouveau contrat de travail ne permet pas « d'assurer des bonnes conditions de travail pour ramener le personnel dans le service public, pour donner des soins à la population, donner des services sociaux, ben là, on va se retrouver face à une société qui se disloque, et ça va être de pire en pire! »
Cette mobilisation majeure touche tous les secteurs, avec des manifestations devant l'Assemblée nationale du Québec et à Montréal. La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui représente plus de 80 000 professionnels en soins, s'est également jointe au mouvement, affirmant que « le temps de la vocation, c'est terminé ».
Les enseignants affiliés à la FAE ont déjà entamé une grève générale illimitée, et le Front commun pourrait bien suivre si les négociations ne débloquent pas. La présidente de la FAE, Mélanie Hubert, affirme que les enseignants sont prêts à rester en grève le temps qu'il faudra pour obtenir une entente satisfaisante.
« Moi, j'habite à Montréal, je suis né à Montréal, j'ai grandi à Montréal, pis avec mon salaire de professeur, je suis pas capable d'acheter une maison à Montréal, » s'exclamait Louis-Philippe, enseignant depuis 14 ans. « Comment ça se fait? Les enfants de Montréal ils vont avoir des professeurs qui vivent où? Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. S'ils veulent qu'on travaille à Montréal, faudrait qu'on soit capable de vivre à Montréal! »
Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), dirigé par François Legault, se retrouve au cœur de la tempête. Il est accusé par les travailleurs du public d'ignorer leur situation, en plus de traiter ses « anges gardiens » de manière désobligeante et déplorable. « Anges gardiens », c'est l'expression qu'utilisait la CAQ durant la crise de la COVID-19 pour faire référence aux travailleurs de la santé, qui tenaient le système à bout de bras dans des conditions exécrables.
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, suggérait récemment qu'il faudrait que le gouvernement puisse négocier directement les conditions de travail—dont les horaires—avec les travailleurs sans passer par leurs syndicats, arguant que cela apporterait plus de flexibilité au réseau de la santé, en faisant travailler plus les travailleurs actuels.
Rien d'étonnant: c'est un argument régulièrement employé par les dirigeants de grandes entreprises ou les gouvernements pour tenter de diminuer la force des syndicats, ceux-là mêmes qui les inquiètent aujourd'hui et qui pourraient bien les faire plier. Les travailleurs du Front Commun font valoir que le problème n'est pas les horaires, mais bien que les travailleurs s'en vont puisqu'ils sont déjà épuisés.
Face à la pression, le Premier ministre Legault a déclaré être prêt à bonifier légèrement l'offre gouvernementale, mais à condition que les syndicats acceptent ses demandes par rapport à la flexibilité des horaires. Il refuse d'ailleurs toujours d'indexer les salaires à l'inflation. Dans un communiqué du 23 octobre, les syndicats du front commun déclaraient que « réclamer à tout vent plus de flexibilité relève de l’aberration. Si le gouvernement veut être un employeur de choix, il faut que ça se traduise aux tables de négociation. »
Serge, enseignant à la retraite de Laval, souhaitait faire « une petite rétrospective » sur ce type de réformes qui, au fil du temps, auraient dû sauver le service public. « Le PQ a coupé de 25% le salaire des enseignants en faisant une loi spéciale qui les forçait à revenir au travail. Après il y a eu le parti Libéral, qui a coupé des milliards en éducation pendant des années et maintenant, il y a la CAQ qui fait la sourde oreille. Quand ils sont arrivés au pouvoir, ils ont dit qu'ils amélioreraient les choses, mais ça n'a pas cessé de se dégrader. »
Carl-Édouard, enseignant de mathématique depuis 23 ans, faisait valoir à l'Étoile du Nord que « c'est pour vos enfants qu'on se bat, c'est pas juste pour l'argent. On dit toujours qu'on est une vocation, mais on n'arrête pas de le répéter: on est fatigués. Améliorez nos conditions de travail pour qu'on puisse en donner plus. »
Pour Louis-Philippe, le gouvernement ne répond pas de façon ferme parce qu'il veut « tâter l'opinion publique » pour savoir combien de compromis les travailleurs sont prêts à faire « pis jusqu'où on va se rendre. Si jamais l'opinion publique n'est plus avec nous, j'imagine qui vont nous sortir quelque chose comme une loi spéciale, comme ils ont essayé de faire en Ontario il n'y a pas si longtemps. »
« Ford a sorti sa loi spéciale et ça n'a pas marché, il a fallu qu'il revienne en arrière. Ça va peut-être être la meme niaiserie, parce qu'il a pas l'air d'apprendre de ses erreurs, ce gouvernement-là. »