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Il y a trois semaines, les travailleurs de 26 succursales de la Société québécoise du cannabis (SQDC), membres du SCFP-5454, mettaient fin à l'une des plus longues grèves de l'histoire du secteur public canadien. Avec leur nouvelle convention collective approuvée par environ 85% des membres, ils ont remporté des gains salariaux significatifs et résisté à ce qu'ils qualifient d'intimidation gouvernementale. Lucas Gizard, 3ᵉ clé à la SQDC et militant de cette grève depuis ses débuts, partage son expérience dans une entrevue exclusive avec l'Étoile du Nord.
Des apprentissages constants
À la SQDC, une grande partie des employés sont jeunes, dans la vingtaine ou la trentaine. La grève était donc une nouveauté pour beaucoup d'entre eux et a apporté son lot d'essais et d'erreurs.
M. Gizard explique ainsi que les moyens de pression utilisés au départ étaient assez limités, autant dans leur ampleur que leur impact. Ainsi, l'adoption de tenues allant contre le code vestimentaire a bien pu démontrer leur mécontentement, mais était largement insuffisante. Malgré la grève qui a suivi comme principal moyen de se faire valoir, il a fallu en faire plus.
Pour lui, « là où on a été le plus efficace, c'étaient les blocages économiques ou les blocages de la rue, par exemple devant le siège social de la SQDC. On était aussi avec les cols bleus pour aller bloquer temporairement le Port de Montréal. »
« Il faut vraiment que ce soit des actions matériellement efficaces, donc qui mettent une épine dans le pied au niveau économique. Ça, ils n’aiment pas du tout. » De même, des actions symboliques comme planter des tentes devant le siège social de la société d'état en réponse à la privation de leurs congés payés auraient, selon lui, envoyé un message fort attirant l'attention des médias et embarrassant les hauts fonctionnaires.
Cependant, Lucas Gizard exprimait tout de même sa déception quant à la couverture limitée des médias traditionnels de leur grève, malgré son statut de l'une des plus longues du secteur public depuis les années 50. Sans les coups d'éclat des travailleurs, il semble qu'ils n'auraient presque pas parlé d'eux. Il se désolait également que les médias ne se soient pas intéressés plus à leur travail de prévention et à son impact, « que ce soit au niveau des impacts de la fumée, au niveau des femmes enceintes... »
En effet, les vendeurs de la SQDC sont aussi chargés d'informer et de s'assurer que les acheteurs peuvent consommer du cannabis de façon sécuritaire. Il explique ainsi que les appels pour des « bad trips » au 911 ont augmenté en leur absence, mais que les grands médias n'ont pas fait la connexion avec les enjeux des travailleurs.
S'unir pour gagner
Face au gouvernement et à l'absence des médias traditionnels, il soulignait également l'importance de la solidarité syndicale, expliquant qu'il faut soutenir d'autres secteurs en grève, comme par exemple la SAQ entrepôt, ou même d'autres succursales de la SQDC syndiquée avec une autre centrale que le SCFP. Il insiste sur la nécessité de l'unité face à un État qu'il qualifie d'antisyndical.
« On a un État antisyndical, on a un État hautain. On a un État qui fait des choses illégales pour gagner, donc là aussi, c'est assez compliqué d'être de bonne foi face à l'État. Il faut toujours 'be the bigger man', il faut s'allier. Il faut se soutenir mutuellement et ne pas jouer le jeu de l'État sur la division. C'est ensemble qu'on va gagner. »
« Moi, je pense que notre victoire, ça lance un très beau message. [...] On a eu quelque chose de décent, donc moi, le message que j'ai envie de passer au secteur public c'est, il faut rien lâcher. Et oui, il faut faire des compromis. Mais il faut aussi savoir ne pas se compromettre là où c'est le plus important, soit le niveau de vie, et le respect. »
Ce n'était que le début
Malgré cela, Lucas Gizard insiste sur la valeur formatrice qu'a revêtue sa première expérience de grève et préconise une préparation constante, soulignant ainsi l'importance de rester en permanence vigilant et prêt à agir.
« C'est pas parce qu'on a une entente qu'on ne prépare pas la prochaine grève en 2027. » C'est donc qu'il faut « être capable de faire ses armes aussi, même en temps de paix. C'est aussi une forme de devoir qu'on a, et surtout dans les années qui vont venir, de former les gens à comprendre ce que c'est le syndicalisme, à comprendre ce que c'est la lutte contre son employeur ou la lutte en général dans le secteur public ou privé, et juste de passer le mot. »
« Tellement de gens ne savaient pas qu'on était en grève. Tellement de gens dans les succursales non syndiquées pensent que le syndicat, c'est des gros méchants. Il y a des zones grises, oui, mais défendez vos intérêts et c'est ça qui va faire avancer les choses. »