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Alors que les assemblées de vote sur l'entente de principe obtenue par le Front commun sont maintenant terminées, l'heure est au bilan. L'entente intersectorielle qui prévoit une augmentation d'au moins 17,4% sur 5 ans a été entérinée par les membres de la FTQ, CSN, CSQ et APTS à la hauteur de 74,8%, un résultat fort démontrant pourtant l'absence de consensus. Les ententes sectorielles qui touchent l'organisation du travail ont été plus controversées, notamment chez la fédération de la santé de la CSQ, qui l'a rejeté à 98%.
C'est sans parler de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), ayant adopté son entente générale avec 50,58% des voix suite à un processus tumultueux, et la Fédération interprofessionnelle de la santé, qui semble toujours loin de conclure leur négociation. Pour mieux comprendre l'impact de cette négociation sur le futur de la fonction publique et du mouvement des travailleurs, l'Étoile du Nord s'est entretenue avec Yvan Perrier, professeur de science politique et ancien conseiller syndical pour la Confédération des syndicats nationaux (CSN).
M. Perrier souligne des gains salariaux notables, alors que « cette entente de principe permet, pour les cinq années de la convention collective, des augmentations supérieures au dogme de 2% par année qui a été appliquée rigoureusement par l’État patron du Québec depuis au moins 1993 ».
Malgré les limitations de la nouvelle convention, il estime qu'elle est la plus avantageuse d'un point de vue salarial depuis 1979. Il faut toutefois noter le désavantage des augmentations salariales en pourcentage, alors que ceux-ci mènent à des hausses plus faibles pour les travailleurs les moins payés. Par exemple, un travailleur gagnant 21$/heure au début de l'entente gagnera environ 25$ (4$ de plus/heure) à la fin de celle-ci, alors qu'un travailleur gagnant 45$/heure sera augmenté à près de 53,50$ (8,50$ de plus).
M. Perrier indique que la clause d'indexation à l'inflation prévue pour les trois dernières années de l'entente, qui permet de hausser de 1% de plus le salaire des travailleurs du public si le coût de la vie augmente plus que prévu, est un gain fort et hors de l'ordinaire. Toutefois, « elle ne permet pas la pleine indexation, comme c’était le cas dans les années soixante-dix, ni le fameux rattrapage réclamé par le Front commun ».
Un regard vers le passé permet de s'apercevoir que globalement, cette convention marque un retour vers de meilleures augmentations salariales pour les travailleurs du secteur public. Yvan Perrier rappelle que depuis les années 1990, les travailleurs ont dû affronter autant des gels salariaux que des réductions de salaire.
Questionné à savoir ce qui a permis aux syndiqués d'obtenir ces gains, M. Perrier répond que « la présente négociation nous a démontré, à plusieurs reprises, que l’opinion publique appuyait les revendications des syndiqués. Le gouvernement Legault était certes conforté dans ses positions par certains éditorialistes, mais en bout de piste, il s’est retrouvé isolé. La position qu’il défendait était insoutenable. Voilà pourquoi il a dû une nouvelle fois réviser son offre salariale à la hausse. »
S'ajoutent à cela les actions des travailleurs. Bien que la grève ait été graduelle (au contraire des grèves des années 1970 et 1980), Yvan Perrier note que « la mobilisation a été remarquable en santé et en éducation. »
« Alors, la grève de 10 jours des 420 000 membres du Front commun, la grève générale illimitée—qui a durée 22 jours—des 66 500 membres de la FAE, les arrêts de travail des infirmières et des infirmiers et j’en passe… la totalité de ces arrêts de travail a permis minimalement de mettre sur la place publique les conditions de travail et de rémunération des 650 000 syndiqués des secteurs publics et parapublics. »
Et finalement, tout cela n'aurait probablement pas été possible sans « la pénurie de main-d’œuvre et la nécessité d’attirer au travail ou de préserver en poste des personnes compétentes, qualifiées ou expérimentées, voilà un peu pourquoi les augmentations négociées et consenties ont été supérieures au plafond arbitraire fixé par l’État patron à 2% par année depuis au moins le début des années quatre-vingt-dix ».
Toutefois, selon M. Perrier, malgré les gains salariaux obtenus, il reste du chemin à faire pour améliorer les conditions de travail des syndiqués de la fonction publique. « Ces personnes œuvrent dans des services qui sont déterminants et fondamentaux pour notre qualité de vie. » Le gouvernement a récemment adopté plusieurs mesures de "flexibilisation" de la main-d'œuvre et de réorganisation des services publics, comme la loi 15 et la loi 23, auxquelles les syndicats se sont opposés sans grande passion. Ces projets de loi diminueront pourtant le pouvoir des syndicats et pourraient bien faire vaciller les conditions de travail dans le secteur public.
S'ils veulent réellement faire plier les gouvernements dans le futur, Yvan Perrier estime qu'il faut que « les syndiqués cessent de se comporter en 'passager clandestin' dans la vie sociale et politique. Il y a belle lurette que les organisations syndicales ne sont pas parvenues à mobiliser massivement—comme ce fut le cas lors de certaines décennies précédentes—leurs troupes sur des enjeux extérieurs à la convention collective. » Au contraire, il juge que les travailleurs se doivent de sauter à pieds joints dans les débats et les luttes politiques.
Cliquez ici pour lire l'entrevue complète de l'Étoile du Nord avec Yvan Perrier sur Pressegauche.org