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Au cours des derniers mois, le gouvernement de la CAQ a entrepris des réformes agressives du secteur public québécois, au nom de la « flexibilité », de l'efficacité et de la fameuse « concurrence ». Ces termes sont devenus une sorte de mantra pour les ministres, guidant chaque projet de loi et chaque décret. Cependant, leur signification reste floue : pour qui rend-on les choses plus flexibles ? S'agit-il de concilier travail et vie familiale, ou de forcer les travailleurs à travailler à n'importe quel moment ?
Sans le dire ouvertement, les politiciens utilisent ces termes en référence à la « nouvelle gestion publique » (NGP), une approche qui a vu le jour dans les années 1980, pour justifier des réformes telles que PL-15 dans la santé et PL-23 dans l'éducation. Promue par Margaret Thatcher, elle vise à appliquer les modèles de gestion du secteur privé aux services publics.
Cette méthode a gagné en popularité avec la multiplication de politiques en faveur de la liberté des entreprises, la réduction des droits des travailleurs, la déréglementation et la minimisation de l'intervention de l'État dans l'économie, autrement dit, avec le néolibéralisme.
La NGP repose sur deux idées principales. Premièrement, elle intègre des méthodes du secteur privé dans le fonctionnement interne du secteur public, telles que la surveillance étroite des résultats, les bonus de performances quantitatifs et l'introduction de la sous-traitance.
Deuxièmement, la NGP pousse les services publics à agir comme des entreprises privées, en s'intégrant au marché et en entrant en concurrence les uns avec les autres. L'idée clé de la NGP est que les méthodes utilisées dans le secteur privé seraient plus « efficaces » pour organiser les choses.
Ainsi, les réformes de NGP sont souvent vues comme les premières attaques contre le secteur public afin d'en favoriser la privatisation. Et pour cause : elles servent à introduire les lois généralement chaotiques du marché dans des secteurs qui en étaient auparavant relativement protégés.
Ce faisant, elles modifient les organisations publiques jusqu'à ce que la ligne de démarcation entre le privé et le public deviennent tellement floues que privatiser ne devient qu'un simple transfert de propriété. Ces réformes, habituellement poussées par des firmes de consultants externes telles que McKinsey & Co, Deloitte et KPGM, rendent ainsi plus facile la privatisation de l'éducation et de la santé.
Mais le secteur privé est-il vraiment plus efficace que la bureaucratie tant détestée ? Si cette dernière a certainement son lot de problèmes, plusieurs épisodes survenus ces dernières années démontrent bel et bien que le secteur privé n'est pas le sauveur tant attendu par les élites politiques et économiques.
En 2020, lorsque le coronavirus s'est infiltré dans les CHSLD, il a infecté plus de 15 000 personnes âgées et causé le décès d'environ 5 000 d'entre elles. Un an plus tard, les chiffres révèlent qu'en général, le secteur privé affiche des taux de mortalité nettement plus élevés. Les trois pires, avec des taux de mortalité de 45% et plus, étaient des CHSLD privés.
En fait, la situation ne s'est améliorée qu'au cours de la deuxième vague, après que le gouvernement est intervenu pour atténuer la crise dans le secteur privé, en augmentant les salaires des préposés, en accordant des subventions et en distribuant des équipements de protection individuelle.
Mais peut-être que le privé est moins cher que le public ? Pas selon les propres données du gouvernement, qui révèlent, suite à un projet pilote dans trois cliniques montréalaises en 2016, que les chirurgies effectuées dans les cliniques privées coûtent jusqu'à 150% plus cher que dans les établissements publics. Ces coûts supplémentaires sont empochés par les propriétaires de ces entreprises, et ne sont pas utilisés pour améliorer les services. Tout cela, alors que l'État et le trésor public paient la facture.
Finalement, la question à poser n'est pas celle de la différence de flexibilité et d'efficacité entre le secteur public et le secteur privé, mais plutôt celle de savoir : à qui servent cette flexibilité et cette efficacité supposée ?
Les citoyens qui veulent bénéficier d'un système de santé et d'éducation efficace et universel ?
Les gouvernements, qui peuvent jouer avec les travailleurs comme un enfant avec de la pâte à modeler, réduisant ainsi leurs coûts ?
Ou bien les actionnaires et les grands patrons du secteur privé, qui voient dans le tournant vers le privé un moyen « efficace » de s'enrichir en puisant encore plus dans les poches des travailleurs ?