L'Étoile du Nord

Crise du logement

Les propriétaires d’immeubles prennent la barre au parlement ontarien

Temps de lecture:6 Minutes

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En 2023, 68 % des sièges de la région du Grand Toronto à Queens Park, le parlement provincial, étaient détenus par des propriétaires. Alors que Toronto a les loyers les plus élevés de l'Ontario et les troisièmes plus élevés du Canada, ceux qui profitent de ces prix élevés sont largement représentés au sein du gouvernement provincial, l'organe législatif responsable de l'élaboration des lois sur les propriétaires-locataires et le logement.

Tous partis confondus, les conservateurs provinciaux, qui détiennent 83 sièges à Queens Park, comptent parmi eux 16 des 24 propriétaires qui siègent à l'assemblée législative provinciale. Le NPD (Nouveau Parti Démocratique), avec 31 sièges, compte 6 propriétaires. En outre, les seuls sièges du Parti vert et des indépendants sont également occupés par des propriétaires.

Ford et le libre marché de l'immobilier

Depuis leur élection en 2018, Doug Ford et les conservateurs provinciaux ont adopté une « approche de marché libre » en matière de logement en Ontario. Dès leur élection, le Progressive Conservative Party (PC Ontario) de Ford ont éliminé les lois sur le contrôle des loyers qui avaient été introduites l'année précédente par les libéraux de Wynne.

L'amendement de 2018 à la loi sur la location résidentielle précisait que les logements inoccupés à partir de 2018 ne seraient pas soumis au contrôle des loyers. La loi 2022 More Homes Built Faster Act vise à encourager le développement résidentiel, mais elle a suscité la controverse parce que le gouvernement provincial a outrepassé les pouvoirs des municipalités en matière de développement des terres de conservation, des terres agricoles et des zones de la Ceinture de verdure.

En 2023, le PC Ontario de Ford a présenté la loi sur les logements abordables et les bons emplois (Affordable Homes and Good Jobs Act). Cette loi est présentée comme une solution à la crise du logement, car elle dispense les entrepreneurs qui souhaitent construire des logements abordables de payer des frais de développement.

Pour ce faire, la définition de « logement abordable » a été modifiée. Avant 2023, la législation définissait le « logement abordable » comme tout logement dont les coûts étaient égaux ou inférieurs à 80% du loyer du marché actuel. Toutefois, la définition de « logement abordable » adoptée par les conservateurs après 2023 est désormais tout logement dont les coûts sont égaux ou inférieurs à 100% du loyer du marché.

Cela implique que le loyer moyen en Ontario est « abordable ». À titre de référence, un appartement d'une chambre à coucher à Toronto vendu au prix moyen de 2 421$ serait considéré par le gouvernement Ford comme un « logement abordable ».

Selon Statistique Canada, le revenu médian d'une personne à Toronto est de 3 483$ par mois. Après avoir payé cet appartement « abordable », il ne resterait à la personne moyenne que 1 062 dollars pour ses autres dépenses, ce qui signifie qu'elle aurait consacré 70% de son revenu au logement !

En revanche, l'approche du PC de Doug Ford face à la crise du logement a largement favorisé les propriétaires en supprimant le contrôle des loyers et a profité aux promoteurs immobiliers en accélérant les processus de construction et en renonçant aux frais associés.

Notamment, alors que le taux d'augmentation des loyers à Toronto est tombé à 2,3% en 2023, des villes comme Oakville ont connu des hausses de loyer moyennes allant jusqu'à 19,4%. Selon Rentals.ca, le loyer moyen en Ontario a augmenté de 9,3% entre 2023 et 2024.

Crédit : Bruce Reeve (Flickr).

Financiarisation et théâtre politique

Entre 2006 et 2018, le revenu médian des ménages n'a augmenté que de 30%, alors que les coûts moyens d'accession à la propriété ont bondi de 131%. Cette disparité a empêché les ménages à revenus moyens de passer de la location à la propriété. Par conséquent, alors que les ménages à revenus moyens se voient exclus du marché de la propriété, la demande de logements locatifs continue d'augmenter.

Cette situation est due à une pénurie considérable de nouveaux logements locatifs construits à cet effet. Actuellement, la plupart des demandes de location sont satisfaites par le marché locatif secondaire, tel que les condominiums loués, les maisons unifamiliales et les appartements secondaires.

La quasi-totalité des quelque 48 000 nouveaux ménages locatifs formés entre 2011 et 2016 ont trouvé un logement sur le marché secondaire. Les logements locatifs construits à cet effet n'ont représenté qu'une petite fraction (6 %) de la réserve de logements à construire au cours de cette période. Toutefois, le nombre de logements locatifs construits à cet effet a légèrement augmenté depuis lors.

Le marché secondaire devient de plus en plus important, non seulement en raison du manque de développement, mais aussi en raison de la financiarisation du logement. La propriété locative est généralement considérée dans le discours public comme un investissement lucratif et un moyen de se constituer un patrimoine. Il est souvent préféré à de nombreuses autres formes d'investissement en raison de ses rendements élevés et de son risque de perte minime.

Par conséquent, les personnes qui ne sont pas en mesure d'acheter ces immeubles totalement inabordables sont piégées dans des conditions de vie inadéquates en attendant un logement social, car les listes d'attente et les délais ne cessent de s'allonger. À l'heure actuelle, environ 100 000 ménages attendent de pouvoir accéder à un logement social.

Pourtant, en parcourant la région du Grand Toronto, on constate que de nombreux immeubles en copropriété sont constamment en construction, avec un nombre record de 32 000 nouveaux immeubles en copropriété qui seront construits en 2023.

Malgré cette « poussée » de la construction de logements, la définition gravement dépassée du logement « abordable », associée à la financiarisation généralisée du marché du logement, a privé les travailleurs à revenus moyens et faibles d'un logement vivable. Dans le même temps, elle a enrichi les propriétaires, les promoteurs et les spéculateurs.

Les députés du PC et du NPD ont présenté des projets de loi soulignant le caractère inabordable des loyers, mais aucun des deux partis ne semble vouloir s'assurer que les familles ont accès aux nombreux logements disponibles.

Par exemple, le NPD, parti d'opposition de la province, a présenté le projet de loi 48 en 2022. La loi sur le contrôle des loyers pour tous les locataires vise à « lier les augmentations de loyer aux immeubles, plutôt qu'aux locataires », en s'attaquant à ce qu'ils décrivent comme la situation problématique actuelle.

Le projet de loi propose également de réintroduire le contrôle des loyers, d'établir un registre des loyers pour prévenir les abus de loyers et d'empêcher les rénovations et les augmentations de loyer dans les logements inoccupés.

Mais deux des quatre députés néo-démocrates qui ont présenté ce projet de loi, Chris Glover (Spadina-Fort York) et Bhutila Karpoche (Parkdale-High Park), sont des députés qui ont déclaré des revenus locatifs en tant que propriétaires en 2023.

Lors de l'examen du projet de loi, le NPD n'a pas parlé de rendre les loyers plus abordables ; au lieu de cela, il se concentre uniquement sur la réduction du taux d'augmentation des loyers par le biais de la législation.

Ainsi, à Queens Park, le débat sur la crise du logement tourne autour de discussions sur le « marché libre » du PC contre le « contrôle des loyers » du NPD, représentant la déréglementation contre la réglementation. Mais tous deux évitent catégoriquement de parler de la financiarisation ou de prendre des mesures concrètes pour construire des logements abordables.

En fin de compte, les propriétaires qui siègent au parlement provincial sont de puissants lobbyistes qui défendent leurs propres intérêts non seulement par leurs moyens financiers et leur persuasion, mais aussi en influençant directement la législation sur le logement par leur vote à l'assemblée.

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