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Lettre d'opinion soumise par Marie, conseillère syndicale
Il y a quelques jours, le premier ministre François Legault annonçait un moratoire de six mois sur l’octroi et le renouvellement de permis en vertu du programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET). Ce moratoire vise les emplois à « bas salaire ». Si le système des travailleurs étrangers temporaires est fort problématique, la solution ayant notamment pour effet de ne pas renouveler le permis de certains de ces travailleurs qui sont déjà au Québec l’est d’autant plus.
Le PTET permet aux employeurs d’embaucher des travailleurs étrangers temporaires pour certains postes lorsqu’ils sont incapables de les combler au sein de la force de travail locale.
Non seulement les TET occupent des emplois qui sont très peu prisés par les citoyens et résidents canadiens, mais ils le font en ayant un statut précaire et en ayant des droits beaucoup plus limités que les salariés québécois. Rappelons que les TET ont un permis de travail « fermé » qui les lie à un seul employeur et à un poste en particulier, rendant ainsi quasi impossible la possibilité de changer d’employeur et de poste à l’intérieur de l’entreprise qui les embauche.
L’annonce de François Legault est problématique pour plusieurs raisons, principalement parce qu’elle ne fait aucune référence au fait qu’il soit intolérable qu’un pays comme le Canada tolère que des travailleurs puissent être enchaînés à un seul employeur sans qu’on leur reconnaisse la résidence permanente.
Le problème est qu’on accepte sciemment que des personnes qui contribuent à la société québécoise en occupant les emplois les moins prisés ne soient pas reconnues comme des citoyens à part entière.
Il y a lieu de pointer l’hypocrisie du gouvernement du Québec alors que plusieurs de ces travailleurs étrangers temporaires ont répondu présents alors que les problèmes reliés à la pénurie de main-d’œuvre étaient décriés sur toutes les tribunes il y a à peine quelques mois.
Si nous connaissons plus amplement les cas malheureusement médiatisés des travailleurs agricoles qui reviennent au Québec sur une base saisonnière, plusieurs travailleurs étrangers temporaires occupent des emplois dans les secteurs de la transformation alimentaire, du camionnage, des entrepôts, de la restauration, de la santé et de la construction, pour ne nommer que ceux-là.
Ces travailleurs restent souvent au Québec pour travailler quelques années. M. Legault serait également étonné de la rapidité avec laquelle ces travailleurs apprennent le français dans leur milieu de travail s’il se donnait la peine de réellement se préoccuper de l’enjeu pour autre chose que des raisons partisanes et électorales.
Il faut réellement ne jamais avoir été en contact avec des TET pour ignorer les efforts démesurés que ces derniers déploient pour s’intégrer à la société québécoise.
Le passage des travailleurs étrangers temporaires au Québec est d’ailleurs marqué par un enfer bureaucratique alors qu’ils doivent jongler avec le renouvellement de leur permis de travail, de leur certificat d’acceptation du Québec (CAQ), de l’étude d’impact sur le marché de travail (EIMT) et de leur passeport qui ne sont pas tous de même durée, mais qui sont pourtant dépendants les uns des autres. Le tout, dans un système qu’ils commencent tout juste à apprivoiser.
Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence l’odieux de cette annonce qui a lieu moins d’un mois après la publication du rapport du rapporteur spécial de l’ONU, Tomoya Obokata, sur les formes contemporaines d’esclavages.
Le rapporteur spécial de l’ONU, qui a rendu son rapport le 22 juillet dernier, avance notamment que le PTET crée un important déséquilibre de pouvoir, car les travailleurs qui perdent leur emploi peuvent être expulsés vers leur pays d’origine.
Les employeurs ont donc peu de raisons de garantir des conditions de travail décentes dans la mesure où les travailleurs ne disposent pas véritablement d’une solution de rechange. M. Obokata ajoute que la plupart des travailleurs hésitent à signaler des problèmes à leur employeur ou à dénoncer des conditions de travail assimilables à de l’exploitation par crainte d’être perçus comme des personnes qui aiment se plaindre.
La solution n’est pas de réduire le peu de droits qu’ont les TET qui sont déjà au Québec, mais plutôt de leur reconnaître les droits dont ils auraient dû pouvoir jouir depuis leur arrivée.
Critiquons au passage les médias de masse qui ont fait entendre, comme seules voix dissidentes à l’annonce de François Legault, les gouvernements d’opposition qui en font, eux aussi, une question partisane plutôt qu’un réel enjeu de droit humain ainsi que le conseil du patronat qui, à toute fin pratique, réclame le droit de continuer à exploiter ces travailleurs étrangers temporaires comme bon leur semble.
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