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Depuis plus d'une semaine, des membres de l'Association des Accidentés de la Route Victimes de la SAAQ (AARVS) passent 24 heures sur 24 devant les bureaux de la Société de l'Assurance Automobile du Québec (SAAQ). Au cœur de ce combat, l'histoire de Kevin Turcotte, opérateur de machinerie lourde, incarne l'injustice que de nombreuses victimes vivent quotidiennement.
Kevin, victime d’un grave accident de voiture en 2007, espérait obtenir l’aide nécessaire de la SAAQ pour remettre sa vie sur les rails. Mais la réalité à laquelle il a été confronté est tout autre, alors que les médecins ont décidé qu'ils ne pourraient pas opérer son pied fortement endommagé. Puis, la SAAQ s'est dressée devant lui comme un géant:
« Ce que je voulais, c'était une aide venant d'un bon cœur, authentique et vraie. Ce que j'ai récolté, c'est: "Monsieur, vous êtes correct. Vous n'avez pas de problème." » déclare-t-il, visiblement marqué par le traitement qu’il a reçu. « Ils m'ont ignoré complètement. »
Comme bien d'autres, Kevin a été contraint de se battre contre une machine bureaucratique qui refuse de reconnaître sa réalité. Lors de son passage devant le Tribunal administratif du Québec, son métier d'opérateur de machinerie lourde n'a pas été reconnu. Il venait de finir ses études.
« Ils m'ont payé cinq ans de salaire comme "assembleur de matériel électronique", un métier que je n'avais jamais fait, proche du salaire minimum », explique-t-il.
Ces cinq années n'ont pas permis à Kevin de se remettre pleinement. Pourtant, la SAAQ n'a pas renouvelé ses prestations. « À la fin de cette période-là, j'ai été obligé de retourner travailler comme opérateur de machinerie lourde. Mais souvent, je finissais par me faire mettre dehors parce que je ne produisais pas assez, » ajoutant qu'utiliser des pédales avec un pied infirme est extrêmement difficile.
« Tu conduis une pelle mécanique, pis t'as la santé et la sécurité de tout le monde dans les mains. Ça ne marche pas. »
Ce quotidien épuisant a eu des répercussions majeures sur sa vie personnelle. « Je me levais à 4h30, revenais le soir et je ne faisais rien. Je n'avais pas d'énergie. » Kevin souligne qu'avec un soutien adapté, il aurait pu réorienter sa carrière vers un métier plus compatible avec son état de santé.
Après sept ans à travailler comme opérateur de machinerie lourde, Kevin a de nouveau été forcé de se retirer du marché du travail. La SAAQ l'a ensuite indemnisé pendant six mois, basé sur son vrai métier, avant de retourner à une indemnisation basée sur le salaire d'un assembleur de matériel électronique. Aujourd'hui, Kevin gagne toujours près du salaire minimum.
En 2023, le pied de Kevin a complètement lâché. « Je suis arrivé à la maison, et je n’étais plus capable de marcher ni de me lever. C'était fini. Ma femme m'a dit qu'on pouvait aller rencontrer un chirurgien. Je suis allé me faire opérer et la chirurgie l'a bien réparée, finalement. » Malgré tout, son pied reste fragile. Ça aura pris plus de dix ans pour qu'un chirurgien accepte d'effectuer l'opération.
Kevin fait partie d'un nombre trop important de personnes qui ont été mises de côté par les procédures de la SAAQ. En effet, suite à plusieurs déficits au tournant des années 2000, la société d'État avait entamé un vaste projet de réforme pour réduire les coûts, s'appuyant entre autres sur l'idée de ramener plus vite les gens sur le marché du travail. De plus, elle vise ouvertement vers un modèle plus proche des assurances privées.
Pour Kevin, la réponse à cet enfer bureaucratique ne repose pas uniquement sur l’argent, mais sur l’humanité et la solidarité:
« On s'est tous séparés, mais il faudrait s'unir et se tenir en tant que peuple. Pas juste des Québécois, mais des Canadiens, des Américains, du monde entier. [...] L'argent, on en a besoin simplement pour vivre, mais pour vivre, il faut être unis, et pour être unis, il faut s'aimer. »
L'AARVS et ses membres sont déterminés à continuer leur lutte tant que la SAAQ et le gouvernement ne reconnaîtront pas leurs droits fondamentaux. Ceux-ci sont toujours 24h sur 24 devant les bureaux de l'institution à Québec, et tiennent bon malgré les menaces des administrateurs.
Un manifestants a reçu une mise en demeure lui demandant de retirer ses pancartes et d'arrêter d'entraver le travail des employés.
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