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Les Centres de la petite enfance (CPE) sont aux prises avec une désertion du personnel qualifié, des bris de services et des listes d'attente interminables. On estime donc à plus de 60 000 les places manquantes dans un Service de garde éducatif à l'enfance (SGEE) au Québec.
Il y a trois ans, le gouvernement de François Legault s'était engagé à créer 37 000 places subventionnées en garderie d'ici mars 2025. Il en manque toujours près de 15 000.
De plus, le ministre de la Famille parle de places « subventionnées » et non de places « ouvertes ». Ce ne sont donc pas nécessairement de nouvelles places (sauf en ce qui concerne les CPEs), mais plutôt des places dans le privé converties en places subventionnées.
Pourtant, utiliser le privé au lieu du public pour combler le manque de place pose problème. En effet, la qualité des services n'est pas la même dans le privé. Le dernier rapport du Vérificateur général du Québec sur les SGEE montre que 30% des garderies n'arrivent pas au seuil minimal de qualité éducative établi par le ministère. Ce taux d'échec s'élève à 60% lorsqu'on regarde uniquement les garderies privées.
En 2021, le ministère recevait six fois plus de plaintes de parents avec leurs enfants en garderies privées que de parents avec leurs enfants en garderie publique.
Profit ou éducation ?
Les critères de subventions aux garderies privées par le ministère de la Famille sont minces. Les entreprises qui gèrent les garderies doivent envoyer leur budget au ministère et s'engager à ne pas demander des frais supplémentaires aux parents. Une fois la subvention approuvée, aucune vérification n'est réalisée par le ministère par après.
Myriam Lavoie-Moore, chercheuse à l'Institut de Recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), dénonce ce modèle de financement. « Si elles respectent la Loi sur les services de garde à l’enfance, ces entreprises privées ont deux choix : soit elles limitent leurs profits, soit elles réduisent la qualité en coupant sur la sécurité des enfants ou l’offre alimentaire, par exemple. »
Ces garderies privées ont également recours aux agences de placement pour combler des postes vides. La Fédération de la santé et des services sociaux de la Confédération des services nationaux (CSN) le dénonce dans un communiqué : « Plutôt que d’offrir des conditions valorisantes aux travailleuses en CPE, ce gouvernement se dépêche de créer des places à la va-vite, en recrutant du personnel non qualifié, qui quitte le réseau après quelques mois parce qu’il ne possède pas les outils nécessaires pour relever les défis de cette profession. »
Depuis quelques années, on remarque toutefois une baisse dans le niveau de qualification des travailleuses. En février 2024, la CAQ a notamment adopté une dérogation à la loi. Le nouveau règlement stipule qu'une travailleuse sur deux doit maintenant être qualifiée. Ce ratio baisse même à 1 sur 3 lors de l'heure d'ouverture et de fermeture des CPEs.
Avant les CPE, les garderies gérées par le peuple
À la fin des années 1960, les garderies privées dominaient le paysage québécois. En parallèle, le mouvement ouvrier gagnait en puissance, alors que des centrales comme la CSN et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) s'intéressaient de plus en plus à la politique. Cette période marquait aussi un tournant pour la lutte des femmes, qui étaient déterminées à intégrer le marché du travail et à étendre leurs libertés.
C'est dans ce contexte explosif que les militants syndicaux et du mouvement des femmes ont mis sur pied un réseau d'une centaine de « garderies populaires » dans les quartiers pauvres et ouvriers du Québec. Ces garderies, gérées de façon autonome, étaient dirigées par des assemblées où parents et travailleurs avaient leur mot à dire. Les gestionnaires étaient élus par ces assemblées.
Leur mission était d'offrir des services gratuits qui répondaient directement aux besoins des communautés. Grâce à leur mobilisation, le réseau a obtenu du gouvernement québécois un financement qu’il consacrait entièrement à l’éducation, sans viser le profit.
Ce modèle a permis à des dizaines de milliers de familles d’accéder à des services de garde autrefois hors de leur portée. Mais avec la loi sur les CPE en 1997, ces garderies ont été absorbées par l’État québécois. Peu à peu, le gouvernement a retiré aux travailleurs et aux parents le pouvoir de gérer l’éducation des enfants, tout en dégradant les conditions de travail des éducatrices.
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