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C'était hier que commençait à être appliquée la réforme de la santé de la CAQ. Le système de santé prendra maintenant la forme de l'agence Santé Québec, qui est déjà critiquée pour son ouverture au privé. Elle sera aussi dirigée par Geneviève Biron, ancienne présidente d'une entreprise de médecine. Mais qu'est-ce que ça va vraiment changer pour les Québécois ?
Tout le monde le sait, le système de santé au Québec est en crise. Les médias parlent sans arrêt des problèmes d'accès, du manque de personnel, des longues listes d'attente, des conditions de travail, etc.
En réponse, le premier ministre François Legault apporte ainsi une nouvelle vision de la santé avec sa réforme. Lui et son parti semblent croire dur comme fer que c'est l'expansion du privé qui sera le remède à la maladie du système.
L'est-il vraiment ?
Privatisation: loin d'être si efficace
L'agence Santé Québec aura le pouvoir de coordonner et de soutenir les établissements privés, ouvrant la porte aux entrepreneurs désireux de prendre une part du gâteau. C'est la première fois que le réseau de la santé s'affirme autant dans cette direction, mais ce n'est pas nouveau.
Depuis plusieurs décennies, tous les gouvernements ont privatisé lentement, mais sûrement, plusieurs parties du réseau de santé. Par exemple, il y a les services médicaux et sociaux de première ligne, qu'on donne depuis plusieurs années à des cliniques privées financées par des fonds publics (ex: les groupes de médecine familiale).
Il y a aussi les services en santé mentale, qui sont déjà en grande partie privatisés. Maintenant, des entreprises privées de télémédecine, comme Dialogue ou Télus Santé, commencent à s'en mêler.
Plus récemment, les fonds publics ont financé de plus en plus de mini-hôpitaux privés, avec le but de désengorger les urgences publiques. Ils sont d'ailleurs très similaires aux projets de super-cliniques dans les réformes précédentes en santé, comme dans la réforme Barrette. Le mandat de ces mini-hôpitaux est de recevoir un certain nombre de visites médicales d'urgence par des patients qui n'ont pas de médecins de famille, en échange de subventions de la part du gouvernement.
Entre 2017 et 2021, ces hôpitaux ont échoué à atteindre leur but à chaque année, sans perdre leur financement. Par exemple, en 2020, 92% des super-cliniques n'avaient pas fait le nombre minimal requis de visites, pour un total de 674 121 visites non faites. L'année avec le résultat le moins désastreux était 2018, avec 54% de visites non faites.
De plus, ceux-ci créent plus de problèmes qu'ils n'en règlent. Par exemple, la main d'œuvre nécessaire pour ces nouveaux établissements contribue à l'exode des travailleurs du public vers le privé.
Centralisation: l’échec persistant
L'agence Santé-Québec est la dernière étape d'un long processus de centralisation du système de santé, qui permet aux oligarques québécois de prendre un contrôle absolu sur les décisions internes. Encore une fois, ce n'est pas une nouvelle idée.
En effet, tous les partis politiques au pouvoir depuis 25 ans ont centralisé le réseau de santé, fusionné des établissements et éliminé progressivement les postes élus dans les conseils d'administration. Résultat : aujourd'hui, aucun membre de ces conseils n'est élu démocratiquement.
C'est de cette manière qu'en 2003, des centaines d'hôpitaux, de CLSC et de CHSLD ont été fusionnés pour créer 95 Centres de santé et de services sociaux (CSSS). Puis, en 2015, ces 95 CSSS ont été regroupés en 22 méga-établissements appelés les Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS).
Aujourd'hui, la réforme centralise l'ensemble du réseau de santé en un seul établissement, Santé Québec, dirigé par un conseil d'administration nommé directement par le gouvernement.
En d'autres mots, cette réforme a surtout servi à enlever le contrôle que la population avait sur le système de santé pour le donner à quelques bureaucrates et collaborateurs de la CAQ dans le secteur privé.
Il existe un exemple de ce qui pourrait attendre la population avec Santé Québec : à partir de 1994, les gouvernements en Alberta ont graduellement pris 200 établissements de santé et les ont fusionnés, jusqu'à la création d'une seule agence de santé en 2008. Quinze ans plus tard, le gouvernement albertain a admis son échec et a été obligé de réviser complètement son système de santé en le décentralisant.
Les études sont claires : le Québec fait mieux que l'Alberta dans plusieurs aspects de la santé. L'Alberta est la deuxième province où les soins coûtent le plus cher, mais elle ne fait pas mieux que la moyenne canadienne pour l'accès aux services. Elle a aussi plus de réadmissions à l’hôpital après une chirurgie et plus de décès après une chirurgie majeure que la moyenne au Canada.
Il n'y a aucune raison de croire qu'une agence de santé similaire à celle de l'Alberta aurait un résultat différent.
Désunion au sein des travailleurs du réseau
Suite à la centralisation et à la fusion du réseau en une seule institution, le gouvernement supprimera les accréditations syndicales locales. Il n'y aura donc plus, par exemple, de syndicat pour les infirmières d'un hôpital en particulier. Les syndicats seront alors forcés de représenter l'ensemble d'un groupe de métiers (des catégories d'emplois, 1 à 6.)
Passer de syndicats formés d'au maximum quelques milliers de membres à d'immenses machines formées de dizaines de milliers de travailleurs pourrait les rendre moins accessibles et moins démocratiques. De plus, cela pourrait mener à une guerre intersyndicale pour récupérer les accréditations, ce qui pourrait provoquer de la désunion et de la tension.
Bureaucratie: ne vous attendez pas à un système plus « humain »
Une autre conséquence de tous ces changements : les gestionnaires seront de moins en moins présents sur le terrain. Pourtant, pour pouvoir prendre des décisions, ils doivent être informés de ce qui se passe sur place.
Cela pourrait mener à la création de mesures administratives lourdes et compliquées, qui seraient ensuite imposées aux employés. Ces tâches supplémentaires affecteraient non seulement leurs conditions de travail, mais aussi le temps qu'ils peuvent passer avec les patients.
En résumé, la réforme de la santé de la CAQ semble surtout renforcer la privatisation et la centralisation du système. En éloignant les décisions des citoyens et des travailleurs, elle pourrait aggraver les conditions de travail et limiter l'accès aux soins. Plutôt que de résoudre la crise, cette réforme profite principalement à une élite privée, laissant les Québécois sur leur faim.
- Qui sont les (riches) patrons de la nouvelle agence Santé Québec?
- Santé Québec est là, qu’est-ce que ça va changer ?