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Le président des États-Unis nouvellement réélu, Donald Trump, semble décidé à tenir sa promesse d'imposer des droits de douane au Canada, au Mexique et à la Chine pour lutter contre la « menace extraordinaire que représentent les étrangers illégaux et les drogues, y compris le fentanyl mortel, [qui] constitue une situation d'urgence nationale ».
Bien que ces droits de douane aient été temporairement levés et reportés de 30 jours, le Canada pourrait encore se voir imposer des droits de douane de 25% sur tous les produits exportés vers les États-Unis et des droits de douane de 10% sur toutes les exportations d'énergie. Selon les médias grand public, ces droits de douane marquent le début d'une « guerre commerciale » et d'une « rupture » entre les États-Unis et le Canada, qui sort de nulle part.
Mais à quel point ces droits de douane sont-ils « sortis de nulle part » ? Qu'est-il arrivé au libre-échange ? Une enquête plus approfondie révélera comment le Canada en est arrivé là et pourquoi nos propres élites dirigeantes en sont en partie responsables.
L'affaire du siècle: la souveraineté canadienne
Les fondements de l'économie d'exportation du Canada ont été fixés dans l'après-Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis ont abandonné les politiques économiques protectionnistes aux droits de douane élevés des années 1920-1930. L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), dont le Canada a été l'un des 23 États membres fondateurs en 1947, a marqué le début de la réduction des droits de douane et de l'adoption du libre-échange, principalement pour les puissances d'Europe occidentale et leurs colonies, ainsi que pour l'Amérique du Nord.
La prospérité d'après-guerre au Canada a été financée par d'importants investissements d'entreprises basées aux États-Unis. L'abaissement des droits de douane et l'augmentation des investissements américains au cours de cette période ont fait de notre voisin du sud un marché idéal pour les matières premières canadiennes.
Lors de « l'élection du libre-échange » de 1988, convoquée par le Premier ministre Brian Mulroney du Parti progressiste-conservateur, les Canadiens se sont rendus aux urnes pour décider si le Canada devaient ou non adopter un accord de libre-échange avec les États-Unis, qui cherchaient à obtenir un accès quasi illimité aux ressources naturelles canadiennes. Les conservateurs de Mulroney, qui soutiennent l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ACCEU), remportent les élections avec 50% des sièges, mais seulement 40% du vote populaire, soit 30% de la population éligible.
Les deux partis qui ont fait campagne contre l'ACCEU, le Parti libéral et le Nouveau parti démocratique, ont tous deux affirmé que le libre-échange avec les États-Unis « transformerait le Canada en 51ᵉ État ». Malgré leur opposition initiale à l'ancien accord Canada-États-Unis et à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), les libéraux ont ratifié l'ALENA après leur arrivée au pouvoir en 1993.
Avant l'adoption de l'ACCEU, les exportations représentaient 25% du PIB du Canada. Après l'adoption de l'ACCEU et de l'ALENA, la contribution des exportations au PIB canadien est passée à plus de 40%, avec un pic de 44% en 2000.
Aujourd'hui, 25,1% du PIB du Canada provient exclusivement des exportations vers les États-Unis - en d'autres termes, la politique économique du Canada, depuis presque quatre décennies, repose sur l'industrie et les marchés américains pour les matériaux canadiens.
Un commerce grotesque
Bien que le Canada soit tributaire des exportations vers les États-Unis, des accords tels que l'ALENA garantissaient à tout le moins que le Canada puisse maintenir son économie à flot - jusqu'à ce que les États-Unis décident que le libre-échange n'est plus avantageux.
Au cours de la première présidence Trump, la Maison-Blanche a entamé la renégociation de l'ALENA pour en faire l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). Bien que cet accord ait conservé la plupart des dispositions de l'ALENA, il a été adopté à la suite des menaces américaines d'annuler le libre-échange en Amérique du Nord.
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En mars 2018, le gouvernement Trump a également mis en place des droits de douane sur les exportations canadiennes d'acier et d'aluminium : 25% et 10%, respectivement.
L'ACEUM a été ratifiée en 2020 et aurait dû servir de mise en garde sur les conséquences potentielles d'une dépendance excessive à l'égard des marchés américains. Malgré le mépris flagrant du gouvernement américain pour un accord de libre-échange ratifié quand celui-ci devenait gênant, les politiciens et les entreprises canadiens ont continué à s'appuyer sur la fausse promesse du "libre-échange".
Aujourd'hui, les travailleurs canadiens sont à nouveau confrontés à la menace de droits de douane destructeurs pour l'économie de la part de « notre plus grand allié et partenaire commercial » - un allié qui a décidé que les accords existants sont nuls et non avenus s'il peut déployer ses muscles économiques et démontrer sa domination sur notre économie.
Le chaos pour la chaîne d'approvisionnement au détriment de l'autosuffisance
Notre économie est organisée depuis des décennies autour de l'approvisionnement en ressources énergétiques et en matières premières de notre voisin du sud. C'est dans le domaine de l'énergie que cette dépendance est la plus évidente, puisque le pétrole canadien représente 52% des importations totales de pétrole des États-Unis.
Selon l'économiste Jim Stanford, du Centre for Future Work, « toute l'infrastructure du système énergétique continental est conçue pour prendre le pétrole du Canada et le pomper jusqu'aux raffineries américaines. Et il n'y a pas beaucoup d'autres endroits où nous pourrions le vendre ».
Le pétrole est le principal produit d'exportation du Canada, et les États-Unis en sont le principal consommateur. Malgré ses vastes réserves de pétrole, le Canada ne possède que 16 raffineries en activité. En comparaison, les États-Unis comptent 132 raffineries de pétrole en activité, dont certaines raffinent presque exclusivement du pétrole brut canadien. Les produits pétroliers raffinés, tels que les carburants, sont ensuite revendus sur les marchés canadiens
Un processus similaire existe pour l'acier. Les États-Unis sont le plus grand importateur d'acier canadien, qui est à son tour utilisé dans la fabrication de produits destinés à être vendus sur les marchés canadiens ou de composants destinés à être transformés au Canada, comme c'est le cas dans la construction automobile.
Les partisans du libre-échange justifient cette chaîne d'approvisionnement chaotique par le fait qu'elle est « moins chère ». En d'autres termes, il est moins cher d'expédier nos matériaux plutôt que de construire notre propre industrie, car le Canada ne dispose pas de l'infrastructure manufacturière nécessaire pour transformer ces matériaux par ses propres moyens.
Ce qui n'est pas souvent mentionné, c'est que la possibilité de décharger rapidement les ressources naturelles vers une puissance manufacturière profite bien plus aux familles riches telles que les Irving, Edwards et Zekelman qu'au développement d'une infrastructure et d'une industrie canadienne autosuffisantes. Cela pourrait même se faire au détriment de la souveraineté canadienne.
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Le Canada rend l'affaire plus alléchante pour les États-Unis, puisqu'il autorise les investissements étrangers et privés dans son secteur pétrolier. Les compagnies pétrolières et les sociétés financières américaines (et d'autres pays), telles qu'ExxonMobil ou BlackRock, peuvent détenir des parts substantielles, voire majoritaires, dans le secteur pétrolier canadien.
Bien entendu, lorsqu'ils ont été confrontés à la question de savoir comment gérer les vastes ressources naturelles du Canada, nos politiciens ont choisi d'aider les milliardaires américains et canadiens à s'enrichir rapidement, au lieu de développer une économie au service du Canadien ordinaire.
Les travailleurs canadiens abandonnés à leur sort
Le rapport 2003 du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) sur l'ACCEU et l'ALENA indique que « la principale justification économique du libre-échange, cependant, était que l'augmentation des échanges bilatéraux stimulerait la productivité canadienne et conduirait ainsi à des salaires plus élevés et à une amélioration du niveau de vie ».
De toute évidence, c'est le contraire qui s'est produit.
Le passage à une économie orientée vers l'exportation, facilité par l'ACCEU et l'ALENA, a entraîné une stagnation des augmentations de salaires réels (augmentations de salaires corrigées de l'inflation). Après l'ACCEU, l'augmentation des salaires réels au Canada a été de 0,2%, alors qu'avant l'ACCEU, elle était de 0,5%.
En outre, alors que le libre-échange a augmenté la productivité de l'industrie, au Mexique, aux États-Unis et au Canada, les travailleurs n'ont perçu que très peu de la richesse produite par cette productivité, qui a été récoltée par les propriétaires et les patrons.
Au lieu de la prospérité, les travailleurs de l'industrie manufacturière canadienne ont vu leur emploi disparaître. Selon le CCPA, « dans les années précédant l'ACCEU, la productivité de l'industrie manufacturière au Canada représentait 83% de celle des États-Unis. En 2000, elle n'était plus que de 65% ».
Entre 2004 et 2008, le Canada a perdu 322 000 emplois dans le secteur manufacturier. Un travailleur sur sept s'est retrouvé au chômage à cause de la délocalisation de l'industrie manufacturière, et la classe ouvrière canadienne dans son ensemble a vu son pouvoir s'affaiblir dans les usines et les salaires réels stagner.
L'héritage du « libre-échange »
Le libre-échange a eu un coût qui a été entièrement payé par les travailleurs : l'intégration des exportations de ressources canadiennes dans l'industrie manufacturière américaine a rendu le Canada presque entièrement dépendant des marchés américains pour soutenir son économie. Cette dépendance est aujourd'hui exploitée par les États-Unis, qui ont décidé que le « libre-échange » n'est libre que lorsqu'il leur convient.
Pendant que les oligarques canadiens du secteur des ressources s'enrichissaient en vendant aux États-Unis, les Canadiens perdaient leur emploi et le Canada perdait tout semblant de souveraineté économique. Il n'est pas étonnant que le président américain puisse ouvertement se pavaner en qualifiant le Canada de « 51e État ».