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Amazon est en guerre non seulement contre ses propres employés, mais aussi contre les travailleurs en général. Depuis que le spectre de la syndicalisation a commencé à hanter ses entrepôts à la fin des années 2010, l'entreprise a mené des campagnes agressives pour écraser le mouvement syndical.
L'énorme entreprise a atteint une telle taille qu'elle a pu opérer en quasi-impunité sur la scène mondiale. Elle engloutit l'argent public, malmène ses travailleurs, écrase les petites entreprises et s'attaque aux maigres protections juridiques que les travailleurs ont obtenues grâce à plus d'un siècle de lutte.
Le 22 janvier, le monopole du commerce électronique a annoncé la fermeture de tous ses entrepôts du Québec. Cette annonce est tombée alors que le premier syndicat canadien d'employés d'Amazon s'apprêtait à forcer légalement l'entreprise à entamer des négociations. Amazon a décidé qu'elle préférait mettre au chômage plus de 3 000 travailleurs plutôt que de permettre à un syndicat de s'implanter ne serait-ce que dans un seul entrepôt.
Ce dernier développement est l'occasion de revenir sur les activités d'Amazon au Québec et à l'étranger.
Les travailleurs de DXT4 face à un géant
Amazon a ouvert ses premiers entrepôts au Québec en 2020. Elle a rapidement étendu ses activités au cours de l'année 2021. En 2022, des campagnes de syndicalisation ont été lancées dans plusieurs installations. Le premier et le seul entrepôt à avoir réussi à former un syndicat est l'entrepôt DXT4 de Laval.
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Le STTAL (Syndicat des travailleuses et travailleurs d'Amazon Laval), qui représentait les travailleurs de DXT4, a été accrédité en mai 2024. Amazon a immédiatement contesté l'accréditation devant le tribunal du travail du Québec en contestant le Code du travail de la province, qu'elle jugeait inconstitutionnel. Amazon a perdu cette affaire.
À la table des négociations, Amazon a fait obstacle au STTAL. Le syndicat a réagi en organisant des manifestations devant l'entrepôt. Début janvier, Amazon a licencié 30 travailleurs à DXT4. Contrairement aux affirmations d'Amazon, les travailleurs ont signalé que les licenciements ne semblaient avoir aucun lien avec les tendances d'embauche saisonnières ou l'ancienneté.
Le 16 janvier, Amazon a fait sa première et seule offre salariale au syndicat : une augmentation de 0 $. La STTAL a rejeté l'offre et, moins d'une semaine plus tard, Amazon a annoncé la fermeture de tous ses entrepôts au Québec. Les livraisons d'Amazon dans la province seront prises en charge par des sous-traitants non syndiqués tels qu'Intelcom.
Des conditions de travail intenables
La santé et la sécurité sur le lieu de travail étaient l'une des principales préoccupations de la STTAL. Amazon est réputé pour pousser ses travailleurs jusqu'à leurs limites physiques. Le rythme effréné du travail dans ses entrepôts se traduit par des taux d'accidents stupéfiants.
Selon un rapport du Groupe de recherche interuniversitaire et interdisciplinaire sur l'emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS) et du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) la majorité des travailleurs des entrepôts d'Amazon ont subi une blessure grave sur le lieu de travail et 60% d'entre eux souffrent de troubles musculo-squelettiques. La fièvre de la haute saison d'Amazon a également entraîné de nombreux décès sur le lieu de travail.
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La situation n'est pas moins difficile pour les livreurs d'Amazon. Nombre d'entre eux travaillent en sous-traitance et n'ont donc aucun recours pour demander des comptes à Amazon sur les violations du Code du travail. L'obsession d'Amazon pour la vitesse et son mépris de la sécurité frappent les livreurs de plein fouet, car l'entreprise s'attend à ce que les colis soient livrés quelles que soient les conditions météorologiques.
La machine multimillionnaire d'Amazon pour détruire les syndicats
Bien avant son arrivée au Québec, Amazon avait déjà eu l'occasion d'écraser les campagnes syndicales dans ses entrepôts. Des rapports publiés aux États-Unis montrent que l'entreprise dépense des millions de dollars par an sur des consultants antisyndicaux et les envoie par avion dans les entrepôts où des campagnes de syndicalisation sont en cours. Ces consultants ont pour mission de harceler les travailleurs et de les contraindre à ne pas se syndiquer.
Amazon s'est livrée à ces mêmes pratiques au Québec depuis 2022, lorsque les campagnes de syndicalisation ont démarré dans les entrepôts de la région de Montréal.
L'entreprise tapisse également ses entrepôts de propagande antisyndicale. En août 2024, le tribunal du travail du Québec a estimé que ces pratiques antisyndicales dans l'un des entrepôts de Lachine avaient violé le Code du travail de la province.
Dans des pays comme le Royaume-Uni, où les syndicats opèrent sans monopole d’embauche, Amazon a affiché dans ses entrepôts des codes QR qui renvoient les travailleurs à un formulaire d'annulation sur le site web de leur syndicat.
Une autre pratique favorite d'Amazon consiste à diluer la concentration de travailleurs pro-syndicats par des campagnes d'embauche éclair avant les élections et les certifications. L'Étoile du Nord a fait état de telles campagnes d'embauche en Angleterre en 2023 et en Colombie-Britannique en 2024. Ce dernier cas a donné lieu à des audiences de la Commission des relations du travail de la Colombie-Britannique.
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Au Québec et aux États-Unis, Amazon a cherché à détruire les éléments du droit du travail qui sont favorables à la syndicalisation, notamment en contestant le Code du travail du Québec et en tentant de démanteler le National Labor Relations Board aux États-Unis.
Dans les rares cas où les travailleurs ont réussi à former des syndicats, comme chez DXT4 à Laval et JFK8 à Staten Island, New York, Amazon refuse de négocier. Les travailleurs de JFK8 ont formé un syndicat au printemps 2022 et n'ont toujours pas de contrat, en raison des obstructions d'Amazon.
L'offensive contre les services postaux publics
Le modèle d'économie à la tâche d'Amazon pour la livraison de colis fait des ravages sur les services postaux publics. Avant qu'Amazon ne construise son infrastructure de livraison, elle dépendait fortement de Postes Canada pour honorer ses commandes. Maintenant que la multinationale a établi son réseau de livreurs non syndiqués et employés de façon précaire, elle est en mesure de proposer des tarifs inférieurs à ceux de la société d'État pour la livraison de colis.
Cette situation a entraîné le déplacement d'une grande partie du travail de livraison des travailleurs syndiqués de Postes Canada, autrefois bien rémunérés, vers des livreurs mal payés, dont les conditions de travail sont nettement moins bonnes. Face à la diminution des revenus provenant de la livraison des colis, les patrons de Postes Canada ont réagi en proposant de réduire les services et de vendre certaines parties de la société. Une telle érosion du service postal public affecterait particulièrement les travailleurs postaux et les Canadiens des zones rurales.
Un phénomène similaire se produit aux États-Unis. La privatisation du service postal américain fait l'objet de spéculations depuis des mois. La relation apparemment amicale entre Donald Trump et Jeff Bezos, ex-PDG et actionnaire principal d'Amazon, n'est certainement pas rassurante pour les consommateurs américains, qui pourraient subir de fortes augmentations des coûts de livraison si l'USPS est contrainte de rivaliser avec Amazon sur le marché privé.
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Argent public, profits privés
Si Amazon sape les protections du travail dans les pays où elle opère, elle engloutit également des subventions publiques au Québec et à l'étranger. Un rapport d'UNI, une fédération syndicale internationale basée en Suisse, estime qu'Amazon a reçu 325,6 millions de dollars de subventions publiques pour un centre de données situé à Montréal. Les centres de données canadiens d'Amazon bénéficient également de tarifs réduits sur l'électricité fournie par les réseaux publics.
En 2017, Amazon a annoncé qu'elle construirait un deuxième siège social et a lancé un appel d'offres auprès de villes du Canada et des États-Unis. Certains gouvernements ont offert de généreuses incitations financières. Le représentant de Toronto, le banquier W. Edmund Clark, s'est vanté que les travailleurs canadiens en technologie travailleraient pour des salaires inférieurs à ceux de leurs homologues américains. Plusieurs conseils municipaux canadiens se sont livrés à des manœuvres publicitaires embarrassantes pour tenter de convaincre la multinationale d'installer son camp dans leur arrière-cour.
Au sud de la frontière, Amazon avait reçu plus de 4,18 milliards de dollars US de subventions en 2022. Dix-sept pays répartis sur cinq continents (six si l'on inclut la Nouvelle-Zélande) ont versé à Amazon des fonds publics pour la construction d'entrepôts, de centres de données et d'autres infrastructures.
Les subventions publiques et les réductions d'impôts accordées aux grandes entreprises sont souvent justifiées au nom de la création d'emplois. La logique est à peu près la suivante : « Si nous rendons notre pays/province/ville attrayant pour les grandes entreprises, elles y installeront leurs activités et créeront des emplois, ce qui stimulera notre économie. »
Cependant, comme nous l'avons vu au Québec, les entreprises ne sont pas tenues de rendre quoi que ce soit aux personnes dont les impôts ont financé leur infrastructure, ni même de les traiter équitablement. Lorsque les travailleurs de DXT4 ont osé réclamer un salaire décent et un lieu de travail sûr, Amazon a fermé ses portes et s'est enfui avec l'argent public.