La semaine dernière, la ministre de l'Habitation du Québec, France-Élaine Duranceau, a annoncé qu'elle simplifierait le mode de calcul des augmentations de loyer. Cette réforme a été dénoncée par les associations de locataires, car elle est remarquablement similaire au projet proposé en janvier par la plus grande association de propriétaires de la province.
Selon le ministre et les grands propriétaires, ces changements simplifieront les calculs, allégeant ainsi la charge du tribunal du logement. Les associations de locataires estiment que ces mesures pourraient aggraver la crise du logement.
La proposition de la CAQ ressemble étrangement à celle présentée en janvier par la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), l'un des principaux lobbies de propriétaires du Québec. Elle éliminerait la présente formule de calcul longue et complexe, et utiliserait plutôt la moyenne de l'inflation des trois dernières années pour déterminer l'augmentation applicable.
La CORPIQ et le gouvernement affirment tous deux qu'il s'agit d'un changement attendu depuis longtemps qui permettrait d'aligner les loyers sur « l'évolution réelle des coûts réels » et, à terme, de permettre aux propriétaires de rénover leur parc immobilier vieillissant. Ils affirment également que cela allégerait la pression sur le Tribunal administratif du logement (TAL), actuellement surchargé.
Pourquoi une réforme, pourquoi maintenant?
Alors que l'ancienne formule d'augmentation des loyers était critiquée depuis un certain temps par les militants du logement, elle a été vivement critiquée en janvier par les propriétaires et les locataires après que le TAL a annoncé une augmentation minimale de 5,9% cette année—une augmentation record des loyers.
Actuellement, le TAL fixe les augmentations de loyer au cas par cas. En général, les propriétaires déposent une demande de décision lorsqu'un locataire exerce son droit de refuser une augmentation. Le TAL détermine l'augmentation en appliquant les indices des prix à la consommation (IPC) de Statistique Canada aux dépenses et aux revenus du propriétaire.
Les défenseurs des droits des locataires affirment que ce système ne permet pas aux locataires de savoir si la hausse imposée par leur proprio est juste et légale. Cependant, Lyn O'Donnell, organisatrice au Comité d'action des citoyennes et citoyens de Verdun (CACV), estime que le véritable moteur de la crise du logement n'est pas la confusion, mais plutôt « la peur, la coercition et les inégalités systémiques ».

La CORPIQ a déclaré que l'augmentation minimale suggérée par le TAL cette année est élevée parce qu'elle « reflètent le retard accumulé par une méthode de calcul qui n'a pas suivi l'évolution des coûts réels ». Elle a plaidé pour une réforme plus « équilibrée et équitable ».
La CORPIQ a proposé que les augmentations soient calculées en fonction de la moyenne de l'IPC global des trois années précédant la période de référence et que les locataires paient les rénovations majeures sur une période d'amortissement de 15 ans.
Entendant leurs appels, la CAQ a annoncé ses réformes deux mois plus tard. La seule véritable différence entre les projets de la CAQ et de la CORPIQ réside dans le fait que la période d'amortissement des rénovations majeures sera 20 ans au lieu de 15.
Des défenseurs des droits des locataires, comme Charles-Olivier P. Carrier du Comité Logement d'aide de Québec Ouest (CLAQO), affirment que cette nouvelle méthode « remplace un problème en en créant un autre ».
M. Carrier affirme que ses « pires craintes se sont réalisées » après avoir constaté que le plan du gouvernement était une copie conforme de celui du lobby, ajoutant: « Nous, notre premier réflexe quand on a vu le projet de modification au règlement, ç'a été: “C’est exactement les demandes de la CORPIQ!” ».
Le prix des œufs augmente? Alors ton loyer aussi!
La ministre Duranceau a affirmé, lors d'une entrevue accordée le 16 avril à l'émission Midi Info de Radio-Canada, que sa réforme proposée n'entraînerait ni gains ni pertes majeurs, ni pour les locataires ni pour les propriétaires. Dans le même ordre d'idées, le porte-parole de la CORPIQ, Éric Sansoucy, a dit au Devoir que la nouvelle méthode ne désavantagerait qu'une minorité de locataires, pour qui « 50 $ de plus par mois, ce serait 50 $ de trop », et qu'ils devraient être subventionnés par le gouvernement.
Afin d'évaluer ces propos, le CLAQO a utilisé la méthode proposée pour recalculer les augmentations des dix dernières années. Ils ont constaté qu'en indexant l'augmentation à l'inflation globale, la nouvelle méthode entraînerait probablement une hausse plus rapide des loyers tout en supprimant de la loi toute obligation d'entretien des propriétaires.
Année | Augmentation suggérée par la TAL | Augmentation selon la nouvelle méthode |
2015 | 0,60% | 1,42% |
2016 | 0,40% | 1,07% |
2017 | 0,60% | 1,06% |
2018 | 0,50% | 0,94% |
2019 | 0,50% | 1,14% |
2020 | 1,20% | 1,59% |
2021 | 0,80% | 1,53% |
2022 | 1,28% | 2,23% |
2023 | 2,30% | 3,76% |
2024 | 4,00% | 4,98% |
2025 | 5,90% | 4,50% |
La CAQ et la CORPIQ avaient initialement déclaré que leur objectif était d'« aligner les loyers sur les coûts réels » (c'est-à-dire de les augmenter significativement). Face à la réaction négative du public, elles nient désormais que les réformes auraient des effets négatifs sur les locataires. Le bureau de la ministre a nié les calculs de la CLAQO, insinuant au Devoir jeudi que les locataires qui ne consultent pas le TAL étaient en fait d'accord avec leur augmentation:
« Il est impossible de déterminer un pourcentage précis des loyers fixés au fil des ans pour l’ensemble du million et demi de logements au Québec. Ceux dont on détient les données exactes sont les loyers qui ont été fixés devant le TAL, donc ceux qui se retrouvaient dans une situation de désaccord. »
M. Carrier conteste cette analyse, la qualifiant de méprisante et d'insultante. D'après son expérience, les locataires n'évitent pas le TAL par satisfaction de leur loyer, mais plutôt par peur. « Les locataires dépendent entièrement des propriétaires pour satisfaire leur besoin fondamental: se loger », a-t-il déclaré. Il explique que les locataires préfèrent souvent faire profil bas et éviter les problèmes.
Lyn O'Donnell renchérit en expliquant que les risques encourus par les locataires qui souhaitent refuser sont pour le moins dissuasifs. Refuser une augmentation risque au minimum de « détériorer une relation déjà entachée par des rapports de force inégaux », explique-t-elle. « Harcèlement, négligence et expulsion: voilà le climat dans lequel les locataires doivent tenter de survivre. »
Selon Carrier, le nouveau système ne change rien au fait fondamental que la responsabilité du contrôle des loyers incombe entièrement aux locataires qui osent refuser une augmentation. Non seulement les nouvelles réformes ne feront pas baisser les loyers, mais elles laissent encore une large marge de manœuvre aux propriétaires pour semer la confusion et contraindre les locataires.

En réalité, une part non négligeable de l'augmentation (provenant des taxes et des assurances) restera variable, pondérée et cachée aux locataires, sauf s'ils contestent. M. Carrier s'attend à ce que les propriétaires exploitent « systématiquement » cette confusion à leur avantage et continuent de faire pression sur les locataires pour qu'ils acceptent des augmentations supérieures aux taux directeur.
Ni Mme O'Donnell ni M. Carrier ne s'étonnent que la CAQ tente d'introduire des réformes qui ne profitent qu'aux propriétaires. Selon Mme O'Donnell, cette réforme s'inscrit parfaitement dans la lignée des autres mesures prises par la CAQ pour déréglementer et servir les intérêts du secteur privé.
« C'est pas la première fois que [la ministre] sabote les droits des locataires », a rappelé M. Carrier. En 2023, elle s'est pliée aux lobbies des propriétaires pour abolir le droit des locataires à céder leur bail et a aussi exempté les résidences pour personnes âgées de certains contrôles des loyers. Il est évident pour lui qu'une « ancienne courtière immobilière qui a acheté son premier plex en cash » se rangerait du côté des promoteurs et des spéculateurs. En effet, plusieurs membres du gouvernement caquiste sont eux-mêmes propriétaires ou investissent massivement dans le marché immobilier.
Face à un gouvernement qui s'oppose à leurs intérêts, les militants du logement se préparent aux luttes à venir. Même si la situation lui semble sombre, M. Carrier sait qu'un mouvement social et des changements radicaux prennent du temps à se construire et tient à rappeler que chaque discussion, chaque pamphlet et chaque manifestation font une différence.
Mme O'Donnell pense également qu'un changement majeur est nécessaire: le logement doit être retiré du secteur privé pour devenir un bien public et collectif. Tous deux s'accordent à dire qu'il est temps de construire un mouvement. « Il faut parler à ses voisins », déclare-t-elle. « [Il faut] s'organiser et sortir dans la rue, faire monter la pression! »
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