Poivre de cayenne, gaz lacrymogène, arrestations violentes: c’est ainsi que le SPVM a accueilli une marche pacifique dimanche dans Saint-Michel, à Montréal. Plus de 300 personnes s’étaient réunies pour dénoncer la mort d’Abisay Cruz, tué par la police lors d’une intervention de crise le 30 mars. Six personnes ont été arrêtées et plusieurs autres blessées.

La marche a commencé devant l'appartement de Cruz, où l'intervention fatale a eu lieu. Les membres de sa famille et des habitants de toute la ville de Montréal se sont rassemblés pour prendre la parole et démontrer leur colère et leur tristesse.
« Aujourd'hui, on est là pour manifester. On est là pour demander des questions, parce qu'il y a beaucoup de questions encore en suspens. On est inquiets parce qu'on nous avait promis que les choses allaient changer... Mais aujourd'hui, on a peur », déclare Stéphanie Germain, directrice générale de l'organisme Éduconnexion.
Cruz, qui avait fêté son 29e anniversaire deux semaines avant sa mort, était un immigrant hondurien père d'un fils de 9 ans. Andy, un ami de Cruz, a donné à l'Étoile du Nord un aperçu de son caractère:
« On a toutes nos difficultés dans la vie, mais il était positif. Il ne cherchait pas la merde. Il faisait toutes ses affaires correctement... Je ne comprends pas pourquoi c'est arrivé à ce point-là. C'était une bonne personne. »

Cruz avait déjà fait l'objet de poursuites pénales, mais Daphné, une amie de Cruz, a rappelé à la foule que cela ne justifie pas sa mort: « Parce qu'on a des antécédents criminels, ils vont utiliser ça contre nous. Mais ça ne veut rien dire. Que tu sois noir, que tu sois faite en chocolat câlisse! Ça ne veut rien dire! On fait ça pour Abisay, pour la justice... parce que ça risque d'arriver encore parce que la mairie et le SPVM continuent de s'en prendre à nous. »
La mort d'Abisay, qui a été filmée par un téléphone portable depuis le balcon de son voisin, est survenue moins de 24 heures après deux autres meurtres commis par des policiers au Québec, l'un à Montréal et l'autre à Québec. Cette intensification de la violence policière a suscité la réaction de nombreux groupes communautaires.

« Toutes les personnes qui s'organisent dans leur communauté, toutes les personnes qui se mobilisent, on fait un travail énorme pour que nos quartiers soient sécuritaires. On fait un travail énorme auprès de nos jeunes pour qu'ils grandissent en sécurité, pour qu'ils respectent les lois, mais malheureusement aujourd'hui, on se pose la question, quel est le rôle des corps policiers si ce n'est pas de protéger? » déclare Germain.
Le SPVM rapporte qu'il n'y a eu aucun blessé lors de la marche de dimanche. Pourtant, un journaliste de l'Étoile du Nord sur place a constaté de multiples blessures causées par des arrestations violentes et des policiers anti-émeute qui poussaient les gens par terre alors qu'ils tentaient de s'enfuir des gaz lacrymogènes. Des dizaines de passants qui attendaient le bus sur le boulevard Pie-X ont été pris dans la fumée des gaz lacrymogènes et ont dû se réfugier dans les commerces environnants.

« On a vu des membres de la famille se faire pousser, se faire gazer... C'est tellement violent que ça arrive dans le cadre d'une manifestation où on parle de quelqu'un qui est décédé aux mains de ces mêmes personnes. Puis quand on voit comment les gens qui marchent pacifiquement sont traités, c'est de la rage qu'on ressent », déclare Phat, qui a participé à la marche et témoigné à l'Étoile du Nord.
Mardi, le SPVM a ouvertement appelé au calme à la suite de la marche de dimanche. Mais Phat ne croit pas que la police doive dire aux gens comment agir dans ce moment.
«Ils veulent pas qu'on balance des poubelles dans la rue, ils veulent pas qu'on brûle des trucs, ils veulent pas qu'on casse des fenêtres... mais cette violence-là, elle commence par un endroit. Pour moi, c'est ancré dans un système oppresseur.»

Phat a grandi dans le quartier voisin de Montréal-Nord, un quartier populaire où presque la moitié de la population est issue de minorités visibles, majoritairement d'origine haïtienne, maghrébine et hispanique, est une communauté qui n'est pas étrangère aux violences policières. En août 2008, Fredy Villaneuva, un immigrant hondurien de 18 ans, avait été abattu par un agent du SPVM, ce qui avait déclenché des émeutes massives dans le quartier. La marche a eu lieu le jour du 35e anniversaire de Villaneuva, et des membres de sa famille et de sa communauté étaient présents dans la foule.
« En 2008, quand c'est arrivé à mon boy Fredy, il n'y avait pas de caméra. Je pense que le peuple, maintenant, a réagi à ça. Ils sont fâchés, ils sont en colère. Ils veulent faire quelque chose pour que les choses changent. Parce qu'on vit ça chaque jour », explique Angelo Prestige, qui a connu Villaneuva.
« On parle de Pie-IX, Saint-Michel, Montréal-Nord, tu comprends? C'est tous des quartiers où t'as les mêmes enjeux, des enjeux de classe sociale. Il y a une intersectionnalité entre la pauvreté et l'immigration. Ces quartiers-là sont tellement marginalisés par des forces d'État comme la police ou d'autres », dit Phat.

Montrant la foule du doigt, Prestige lance: « Je pense qu'on voulait juste se faire écouter aujourd'hui. Et ils se sont rendu compte qu'on était une force qu'ils avaient oubliée. On était juste dormants. Aujourd'hui, ils se sont rendu compte que “Damn, ça peut péter.” Faque s'ils continuent à faire ce qu'ils font, ça va péter encore. »
« Quand tu mets de la pression, il faut que tu ouvres la valve. On a ouvert la valve nous-mêmes pis on est en train de tranquillement faire sortir de la pression. »