Postes Canada pourrait être en grève dès vendredi. La société d’État l’a confirmé vers 16h. Le conflit, mis sur pause par le gouvernement en novembre, reste toujours sans solution. Les travailleurs veulent protéger le service postal, alors que la direction semble plutôt suivre la voie d’Amazon et FedEx pour régler ce qu’elle décrit comme une « situation financière difficile ».
Des travailleurs de la poste se sont d’ailleurs réunis pendant environ 30 minutes aujourd’hui au complexe Desjardins, à Montréal, pour une action surprise. À midi, plus d’une cinquantaine de postiers sont apparus au milieu de l’achalandé centre commercial. Face à eux, au palier supérieur, François Kirsch, armé d’un micro et d’un système de son, avait un message pour les passants.
Les postiers « veulent offrir un service postal public et universel à Québec, » a lancé à la foule le travailleur de l’établissement Léo-Blanchet. « Pour y parvenir, Postes Canada doit cesser la fermeture de ses bureaux de poste partout au pays », pour freiner les pertes de service en région et en banlieue.
« La solution aux problèmes de Postes Canada réside dans la diversification et l’expansion des services aux citoyens. Que ce soit par l’installation de bornes de recharge pour les véhicules électriques, l’implantation d’un service de vigilance aux personnes âgées, une offre de services internet et de téléphonie cellulaire, ou encore par le biais des services financiers et notre fameux projet de banque postale, Postes Canada doit se réinventer! »
Dans un communiqué, le service postal a déclaré qu’il « demeure déterminé à conclure des conventions collectives axées sur la protection et l’amélioration des salaires et des avantages sociaux qui sont importants pour son personnel, tout en tenant compte des réalités actuelles de la Société. » Toutefois, les postiers semblent en douter.

Rentabilité ou utilité, quelle priorité?
Jeudi dernier, le commissaire Kaplan déposait un rapport sur les relations de travail et la mission de Postes Canada. Il avait été mandaté par l’ex-ministre du Travail Steven Mackinnon l’automne dernier, après avoir retiré aux postiers leur droit de grève.
Ce rapport est fortement dénoncé par les travailleurs de la société d’État. « C’est fascinant de voir comment [les recommandations du commissaire sont] la réplique exacte des demandes de la direction de Postes Canada, » ironise Pierre-Luc Grenon, facteur à Chambly et directeur du comité d’éducation syndicale et étude de la législation du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs de la Poste (STTP).
Il précise sa pensée: « On voit la fin de la livraison à domicile, on voit l’instauration des boîtes postales communautaires, on voit le désir d’utiliser une main-d’œuvre temps partiel pour la livraison de colis dans l’optique de flexibiliser le travail. Ça leur permet d’éviter de se concentrer sur une main-d’œuvre à temps plein, ayant les avantages sociaux reliés à ça. »
Toutes ces mesures seraient censées combattre le déficit de Postes Canada. Celle-ci déclare que « le système postal doit changer pour être concurrentiel dans le marché de la livraison d’aujourd’hui […] Depuis 2018, la Société cumule des pertes avant impôt de plus de 3 milliards de dollars, et elle affichera une autre perte importante pour 2024. »

Pourtant, l’Étoile du Nord a rapporté que ces affirmations pourraient être trompeuses, et refléter une volonté politique plutôt qu’économique. De plus, le STTP ne cesse de faire des recommandations pour multiplier les sources de revenus tout en offrant des services pertinents à la population.
Mais pour François Kirsch, même l’argument du déficit est bancal: « La très grande majorité des services publics, santé, éducation, sécurité, transport, ne sont pas rentables au sens commercial et c’est normal: leur mission est de servir les citoyens, pas de générer des profits. »
Celui-ci fait un parallèle entre leur retour au travail forcé de l’automne et cette question de la rentabilité: « À plusieurs reprises, en 2011, 2018 et 2024, [les gouvernements conservateurs et libéraux] ont adopté des lois spéciales—et plus récemment, utilisé l’article 107, 108 du Code Canadien—pour nous forcer à retourner au travail, en affirmant que nos services sont trop importants pour être interrompus. »
« Pourtant… quand vient le temps de parler d’investissements, de salaires ou de conditions de travail, on nous dit que Postes Canada doit être rentable, fonctionner comme une entreprise privée, sans soutien public. C’est là que le paradoxe devient clair, » s’exclame-t-il.
« Si Postes Canada est réellement un service essentiel, alors elle mérite un traitement de service public, soutenu et financé par l’état. » Sinon, soutient le postier, pourquoi leur enlever leur droit de grève?