L'Étoile du Nord

Des travailleurs redécorent l’association patronale

La base se mobilise à l’approche d’une grève de la construction résidentielle

Au bord d’une possible grève dans la construction résidentielle au Québec, les négociations entre l’Alliance syndicale et l’association patronale du secteur restent au point mort. La tension monte: le résidentiel est maintenant le seul secteur sans entente, alors que les quatre autres ont obtenu d’importantes augmentations salariales. Une grève pourrait être déclenchée dès le 22 mai.

Pour mieux comprendre la situation sur le terrain, L’Étoile du Nord a suivi des travailleurs de la base qui ont mené une action directe tôt lundi matin. Ils ont tapissé d'autocollants le siège de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), dénonçant le refus de l’association patronale de négocier une entente semblable à celles déjà signées dans tous les autres secteurs.

L’APCHQ représente plus de 28 000 entreprises de construction résidentielle au Québec et négocie les conventions collectives en leur nom. C’est la seule association patronale du secteur qui n’a pas encore conclu d’entente avec l’Alliance syndicale, une coalition des cinq syndicats de la construction du Québec qui représentent plus de 221 000 travailleurs à travers la province.

« Il reste l'APCHQ qui refuse de faire des concessions. Ils sont à 16% d'augmentation de salaire, ce qui est nettement en deçà de ce qu'on a obtenu dans les autres secteurs », explique Richard (nom fictif pour préserver l’anonymat), charpentier dans l’industrie depuis 2008 et participant à l’action de lundi.

Dans les quatre autres secteurs—commercial, industriel, institutionnel et génie civil & voirie—les ententes ont été ratifiées le 10 avril. Ces accords incluent des hausses salariales importantes, totalisant une augmentation de 22% sur quatre ans, incluant un 8% la première année, dès l’expiration du précédent contrat le 30 avril.

« Ça crée un gros déséquilibre entre les secteurs, ce qui fait que c'est très peu attractif pour les travailleurs d'aller travailler dans le résidentiel. Alors qu'on a une crise du logement sans précédent, il faut qu'on réussisse à donner des bons emplois pour que les gens aient l'envie d'aller travailler dans ce secteur-là », ajoute Richard.

Le collage s’est déroulé dans le cadre d’un blitz de négociation annoncé par l’Alliance le 16 mai, visant à conclure une entente avec l’APCHQ avant 9h le 21 mai. Bien que l’action n’ait pas été menée ni approuvée officiellement par l’Alliance, Richard explique que les travailleurs derrière cette initiative ont pris les devants, espérant ainsi renforcer le levier de négociation de l’Alliance.

« Au courant de la semaine qui vient de passer, il y a eu le mot d'ordre de tapisser les chantiers et de distribuer des autocollants pour les casques pour les travailleurs et travailleuses du secteur résidentiel. »

Il poursuit: « Donc, un moyen de pression comme ça, d'autocollants, ça passe notre message. Puis, on espère que ça peut faire bouger les tables. »

Certains autocollants collés sur les portes du siège de l’APCHQ affichent « Travail égal, paye égal », un slogan repris par l’Alliance pour dénoncer les différences salariales entre le résidentiel et les quatre autres secteurs.

Ces différences remontent à 1993, lorsque le gouvernement libéral de Robert Bourassa a déréglementé la construction résidentielle et réduit les salaires en pleine crise économique. Même si le secteur a été re-réglementé en 1994, les salaires résidentiels sont restés en retard sur les autres secteurs. Accepter une hausse de 16% maintenant ne ferait qu’aggraver cet écart.

D’autres autocollants collés sur l’immeuble affichent « En grève bientôt », suggérant une issue possible à ce conflit de travail. Le 21 mai, date limite donnée à l’APCHQ, la coalition pourra déclencher une grève puisque les cinq syndicats ont reçu des mandats de grève de leurs membres.

Même si la majorité des membres ont voté en faveur d’une grève, les grèves dans le secteur résidentiel sont depuis longtemps difficile à mettre en oeuvre. Avec 28 000 entreprises, dont 81% comptant 10 travailleurs ou moins, il est difficile pour les syndicats de surveiller et de tenir des piquets de grève. Pourtant, Richard croit que toutes les tactiques de pression, y compris la grève, doivent être utilisées pour régler le conflit.

« Il faut maintenir la pression en espérant qu'il y ait un règlement. Et même s'il n'y aurait pas de règlement, ça nous exerce à lutter, ça nous entraine à exercer nos moyen de pression, puis notre rapport de force. Puis ça, c'est un muscle qu'il faut continuer de pratiquer toujours dans les luttes ouvrières. »

Une autre difficulté pour maintenir la mobilisation et organiser une grève dans le secteur, c’est que les travailleurs des autres secteurs ne pourront pas soutenir les piquets puisqu’ils ont déjà ratifié leur convention et doivent travailler.

« Donc, c'est beaucoup plus difficile d'aller en appui et de faire grève pour augmenter notre apport de force... Il faut passer par d'autres moyens... », dit Richard en commençant à énumérer quelques idées créatives pour contourner la situation.

« Est-ce que quelqu'un peut prendre maladie puis aller appuyer l'effort pour faire respecter les mandats de grève? Est-ce qu'on ralentit l'ouvrage? Est-ce qu'on organise des événements par les soirs et les fins de semaine? Ça, c'est toutes des options qui sont dans notre répertoire pour réussir à mettre la pression sur les employeurs. C'est pour ça qu'aujourd'hui, pendant une journée de férié, bien, on a l'occasion de frapper un coup comme ça. »

Dans le contexte des multiples attaques contre les conditions de travail des ouvriers de la construction et le pouvoir des syndicats, notamment avec le projet de loi 51 et la modernisation de la loi R-20, Richard voit un combat plus large dans ces négociations.

« C'est le retour de balancier après qu'on ait fait des gains qu'ont trouvé inacceptables le côté patronal. En restant conscients que c'est nous qui créons l'ensemble la richesse qui va dans les poches des patrons puis des compagnies, il faut reprendre le contrôle sur le travail qu'on fait. Déjà, avoir des syndicats démocratiques où on est capable de s'exprimer, ça va peut-être préfigurer une société qui, elle, deviendrait plus démocratique et où les gens sont capables d'avoir le contrôle sur ce qu'ils produisent. »

Soutenez le journalisme à contre-courant ← Pour aider l'Étoile du Nord à continuer à produire des articles du point de vue de la majorité et dans l'intérêt de la majorité, faites un don! Chaque contribution est précieuse.
×