L'Étoile du Nord

Grève au Service Canadien de l’Ouïe en Ontario

Le SCO trahit sa mission d’aide aux sourds, disent des grévistes

Le conseil d'administration et la PDG du Service canadien de l'ouïe (SCO) refusent actuellement de négocier avec leurs salariés, qui fournissent des services essentiels aux sourds et aux malentendants. Ces derniers craignent que les patrons du SCO ne veuillent détruire le syndicat et que l'organisation à but non lucratif ne représente plus la communauté.

Depuis le 28 avril, 200 travailleurs de la SCO représentés par la section locale 2073 du SCFP sont en grève pour réclamer une augmentation de salaire réelle pour compenser les 16% perdus à cause de l'inflation. Ils réclament également davantage de congés de maladie et une aide pour pallier au manque chronique de personnel. Compte tenu du grand nombre de postes non pourvus, chaque gréviste fait le travail de plusieurs personnes. Un fardeau qui, selon eux, ne peut plus durer. 

Leur dernière convention collective a expiré le 31 mars. Le 18 mars, le SCO a envoyé au syndicat ce qu'il a appelé sa « meilleure offre » et n'a donné aux travailleurs que 24 heures pour y répondre. 

Laura Prong, travailleuse de longue date au SCO et déléguée syndicale, a déclaré à l'Étoile du Nord que les patrons auraient dû accorder au moins une ou deux semaines au syndicat pour permettre l'interprétation pour les travailleurs sourds et malentendants. Sur les 200 travailleurs du SCO, 40% sont sourds ou malentendants. 

« Ils devraient savoir ça, étant la SCO, qu'il faut qu'on donne accès à notre personnel [...] pour que nos membres puissent examiner l'offre. Nous donner 24 heures, ça rend ça impossible », a-t-elle déclaré.

Source : page X/Twitter du SCFP

Les négociations devaient commencer au début du mois d'avril. Mais le conseil d'administration de l'organisation à but non lucratif et sa PDG, Julia Dumanian, ont refusé de négocier et ont immédiatement demandé un publie un rapport recommandant de ne pas instituer de commission de conciliation. Ce rapport est un avis fourni par le ministère du Travail ontarien, qui lance le compte à rebours de 17 jours avant que les travailleurs ne puissent légalement déclencher une grève ou qu'un employeur ne puisse mettre ses travailleurs en lock-out. En réponse, un mandat de grève a été adopté avec 85% de votes favorables et un taux de participation de 73%.

« Depuis ce temps-là, il n'y a pas eu d'offre », déclare Prong. « Ils ont disparu. Après un certain temps, on a pu revoir l'offre et y apporter des améliorations. Ils ont refusé d'examiner nos modifications. Voilà où on en est aujourd'hui [...] et ils ne sont pas revenus à la table des négociations. Il nous faut juste un contrat équitable ».

Le SCO ne cesse de négliger les demandes de ses travailleurs. En 2017, le SCFP 2073 a déclenché une grève de 10 semaines alors que les salaires étaient gelés depuis 2012 et que la SCO tentait de réduire les congés de maladie. En 2022 et 2023, une autre grève a été évitée de justesse lorsque le conseil d'administration a fait pression pour un contrat d'un an, bien que les travailleurs aient réussi à obtenir un accord de trois ans.

« Nous avons la même PDG, c'est le dénominateur commun », explique Prong. « [SCO a été] fondée en 1940, et il n'y a pas eu de grèves jusqu'en 2017. » 

Depuis l'embauche de Julia Dumanian en 2015, le conseil d'administration de la SCO a donné une nouvelle orientation à l'organisation. Plutôt que d'insister auprès des principaux partenaires financiers, comme les gouvernements fédéral et de l'Ontario, pour obtenir davantage de soutien, la SCO s'est attaquée à la sécurité d'emploi de ses travailleurs. En parallèle, elle a supprimé des programmes et rendu les services plus difficiles d'accès pour les sourds, les sourds-aveugles et les malentendants.

Président du conseil d'administration Mark Wafer et la PDG Julia Dumanian. Source : page X/Twitter du SCO.

Désormais, les travailleurs se font seulement offrir des contrats d'un an seulement plutôt que de trois ans. Prong pense que ces contrats pourraient devenir encore plus courts, puisque la direction tente d'affaiblir encore plus le syndicat. « La plupart d'entre nous veulent un contrat de trois ans, mais je pense que l'objectif de la SCO est d'éliminer le syndicat », a déclaré . Prong. 

Le site web du SCO affirme que les membres de son conseil d'administration « ne représentent aucun conseil communautaire particulier ni aucune association, région, ou circonscription particulière ». Pourtant, six des huit administrateurs sont issus du monde des affaires. Ce n'est pas une coïncidence si, au cours des huit dernières années, le SCO s'est concentré sur la réduction des coûts, aux dépens de la communauté qu'elle prétend servir et des travailleurs qui fournissent ses services.

Depuis 2015, les travailleurs du SCO ont vu leur nombre passer d'environ 500 à seulement 200. « On avait 13 directeurs régionaux qui ont tous été renvoyés », explique Prong. Avec eux sont partis le personnel local et les bureaux qui fournissaient autrefois des services communautaires. En conséquence, les travailleurs, moins nombreux, doivent faire face à une charge de travail plus lourde, et les utilisateurs des services sont contraints de voyager plus loin ou de compter sur l'internet pour accéder à une aide essentielle.

« On avait des personnes qui travaillaient depuis très longtemps au SCO et qui ont reçu une indemnité de départ. [...] Quand beaucoup de gens partent à la retraite ou changent de poste ou de domaine, elles ne sont pas remplacées », explique Prong. Dans les années qui ont précédé la grève de 2017, le SCO a lui-même reconnu une pénurie croissante de travailleurs en langue des signes américaine pour remplacer les retraités ou agrandir son équipe. Pendant ce temps, les besoins en services ne cessaient d'augmenter. Pourtant, la réponse du conseil d'administration et du PDG a été de réduire le personnel au lieu de le renforcer.

« On ne peut pas travailler comme ça. On essaie de combiner une agence centrée sur la communauté avec ce qui est aujourd'hui une agence très orientée vers les affaires », a déclaré Prong.

Source : page X/Twitter SCFP Ontario

Pendant la pandémie, le SCO a transféré la plupart de ses services en ligne. Mais une fois les confinements terminés, de nombreux sourds et malentendants ont eu besoin d'un soutien en personne, comme la lecture sur les lèvres, des conseils privés ou de l'aide pour les personnes âgées qui ne sont pas habituées à la technologie. « La communauté est très en colère. Ils s'attendaient à voir les portes du SCO grandes ouvertes [...] et le SCO n'a pas rouvert ses bureaux au public », a déclaré Prong.

Des travailleurs de longue date soulignent que les règles du SCO exigent qu'au moins la moitié des membres de son conseil d'administration soient issus de la communauté sourde et malentendante. Or, sur les huit membres du conseil d'administration, seuls deux répondent à ce critère. Par ailleurs, 40% des 200 travailleurs syndiqués de la SCO sont sourds ou malentendants, ce qui signifie que ce sont les travailleurs, et non le conseil d'administration, qui représentent la communauté au sein de l'organisation.

Interrogé sur la représentativité du SCO vis-à-vis de la communauté sourde et malentendante, Prong a répondu: « Je pense qu'à un moment donné de l'histoire de l'organisation, oui. [...] Mais je ne pense pas que ce soit le cas aujourd'hui. »

Soutenez le journalisme à contre-courant ← Pour aider l'Étoile du Nord à continuer à produire des articles du point de vue de la majorité et dans l'intérêt de la majorité, faites un don! Chaque contribution est précieuse.
×