Depuis le dépôt du PL89 le 19 février par le ministre pro-patronal Jean Boulet, les grandes centrales syndicales du Québec y déclarent régulièrement leur opposition. Qualifié de « cadeau pour les patrons », le projet vise à limiter le droit de grève en permettant au gouvernement d’y mettre fin si elle « cause ou menace de causer un préjudice grave »—une définition floue et propice aux abus, et qui irait à l'encontre de la charte canadienne des droits et libertés.
Des centrales (principalement la FTQ et la CSN) ont organisé une courte occupation festive des bureaux du ministère du Travail, des manifestations d'accueil pour le ministre à divers événements au Québec, des actions de publicité et, surtout, une action marquante le 14 mars devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Jean Boulet devait y présenter son projet au patronat montréalais.
Simon Biard, délégué élu du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP–301), a activement participé à la réaction de son syndicat au projet de loi 89 le 14 mars. Col bleu depuis plus de 15 ans et travaillant au service des aqueducs du sud-ouest de Montréal, il a partagé son avis sur la stratégie des centrales syndicales contre le projet de loi avec l'Étoile du Nord.
« Ce que je dénonce souvent, c'est que nos actions syndicales ou intersyndicales de mobilisation ne représentent pas souvent un réel danger, ne remettent pas en question véritablement le système. Mais le 14 mars, c'était nouveau parce qu'il y a eu un degré de stratégie et un degré de créativité qu'on n'avait jamais vu. »
Des dizaines de syndicalistes s’étaient glissés discrètement à l’intérieur de l’événement, habillés en complet pour ne pas se faire remarquer. Une fois sur place, ils ont commencé à déranger en petits groupes, en faisant du bruit à tour de rôle. Lorsqu'un groupe se faisait expulser, un autre apparaissait.
Pendant ce temps, à l’extérieur, d’autres manifestants, visiblement en colère et menaçants, tentaient d’entrer de force. La tension était palpable, et c'est la combinaison du désordre à l’intérieur et des pressions à l’extérieur qui a forcé les organisateurs à annuler l'événement.
« C'était la première fois en 16 ans qu'un tel événement était annulé. Le ministre a été exfiltré par un petit cortège de VUS noirs blindés, vitres teintées! Donc, c'était une réussite à tous les niveaux. »

Face à l'action des syndicalistes, la police antiémeute a été appelée et des gaz lacrymogènes ont été utilisés. M. Biard estime qu'il est normal que le gouvernement fasse appel à la police pour réprimer le mouvement syndical dans un tel moment:
« S'ils sentent que leur plan est en train de se dérober un peu sous leurs pieds, ils vont tenter par le bras armé qu'est la police de dissuader les travailleurs, de leur faire peur, de les faire reculer. »
Jusqu'à présent, la stratégie des centrales syndicales a consisté à mener quelques actions de perturbation, à propager et à soutenir une pétition demandant au gouvernement de la CAQ de retirer le projet de loi et à promettre une contestation juridique s'il est adopté.
M. Biard estime que ce n'est pas suffisant. La contestation judiciaire « va prendre des années et des années et des années. Puis, si les travailleurs finissent par obtenir un gain, les pratiques se seront déjà inscrites dans la tradition et vont déjà représenter un recul pour les travailleurs. »
Il ajoute que, malgré le discours des centrales syndicales, aucun véritable mouvement de résistance de masse n’est en train de se construire.
M. Biard et les cols bleus préconisent comme outil de combat la mobilisation large, la grève sociale et la désobéissance civile. Leur syndicat a fait adopter une résolution en ce sens au dernier congrès du SCFP–Québec, qui vient tout juste de se terminer.
Il souligne aussi que le projet de loi 89 s'ajoute à d'autres déjà adoptés par la CAQ attaquant les droits des travailleurs et privatisant les services sociaux et infrastructures pour lesquels ils ont lutté. Il estime que cette série de lois régressives fait partie intégrante du système social et économique actuel.
« Il faut voir le capitalisme comme une évolution, comme quelque chose qu'on peut analyser, qu'on peut décrire et même qu'on peut prédire. Donc, le capitalisme arrive à un stade de son évolution où, pour maintenir son accumulation de capital, pour maintenir ses marges de profit, il doit procéder à des projets de régression sociale. Donc on est rendu là, puis ce n'est pas nouveau. C'est depuis plusieurs années. »
Biard avance un dernier point: « On doit bâtir un réseau de lutte à grande échelle, un réseau de solidarité à grande échelle, où les travailleurs feraient front commun, ne militeraient pas uniquement pour l'amélioration de leurs conditions de travail en tant qu'unités de salariés, mais militaient aussi pour des projets de progrès sociaux et également pour freiner des projets de régression sociale. »