L'Étoile du Nord

Répression ciblée de l’expression politique

Un projet de règlement de Toronto menace le droit de manifester

Les conseillers municipaux de Toronto devraient publier ce mois-ci un rapport à la suite des consultations menées sur un projet de règlement qui, s'il était adopté, interdirait les manifestations se déroulant à proximité d'institutions « vulnérables », notamment les écoles et les institutions religieuses. Les avocats et les défenseurs des droits de l'homme affirment que ce règlement vise les discours et les manifestations en faveur de la Palestine.

Le jeudi 17 avril, des centaines de travailleurs et d'activistes, dont des membres de la Coalition for Charter Rights and Freedoms, se sont rassemblés devant l'hôtel de ville pour protester contre le projet de règlement de la ville de Toronto sur les bulles de protestation. La coalition comprend des membres de Migrant Workers Alliance for Change, Jews Say No to Genocide, et les sections locales 3903 et 2484 du SCFP. Les conseillers municipaux Chris Moise, Gord Perks et Alejandra Bravo étaient également présents à la manifestation.

Le règlement municipal s'inspire d'un règlement controversé de la ville de Vaughn adopté en juin 2024. Ce dernier impose une distance de 100 mètres entre les manifestations et les institutions « vulnérables ». Il s'agit notamment des écoles, des institutions confessionnelles et des centres culturels. À Vaughn, l'amende maximale pour violation du « Protecting Vulnerable Social Infrastructure By-law » (règlement sur la protection des infrastructures sociales vulnérables) est de 100 000 dollars.

Des militants, des avocats et des membres de syndicats et d'organisations de défense des droits civiques ont dénoncé le projet de règlement de la ville de Toronto, qui interdit de fait les manifestations dans tout le centre-ville de Toronto. Ils affirment que ce règlement menacerait les libertés fondamentales défendues et protégées par la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier l'article 2C, qui consacre le droit de réunion pacifique.

Une tentative de répression de la solidarité avec la Palestine

Au début du mois, la plus haute cour de justice de l'Ontario a estimé que les restrictions imposées par la COVID-19 sur les rassemblements avaient porté atteinte à ce droit constitutionnel. Alors que le gouvernement provincial refuse de promulguer ces lois de « bulles », le conseil municipal, supposément plus progressiste, poursuit dans cette voie.

« Les règlements municipaux sont appliqués au moyen d'amendes », explique Arash Ghiassi, avocat spécialisé dans la défense pénale, à L'Étoile du Nord. « Un agent de police ou un agent des règlements municipaux peut donner une contravention à quelqu'un, mais il n'a normalement pas le pouvoir d'arrêter quelqu'un. » Néanmoins, le règlement aura probablement un effet dissuasif sur les manifestations et, selon M. Ghiassi, il est « évident qu'il vise à cibler l'expression propalestinienne ».

Le révérend Paul Shepherd, de l'Église unie du Canada, s'est adressé à L'Étoile du Nord lors du rassemblement de jeudi. Il a pointé du doigt le même éléphant dans la pièce: « Il s'agit d'un fait non écrit selon lequel il s'agit d'arrêter les manifestations palestiniennes, et je ne sais pas pourquoi on n'en parle pas plus clairement. J'ai assisté à ces manifestations et elles ont toujours été très pacifiques ».

Les médias canadiens et les politiciens de tous les grands partis ont continuellement investi des ressources pour dépeindre ceux qui protestent contre le génocide israélien en cours à Gaza comme des personnes violentes, haineuses et antisémites.

L'augmentation de 20 millions de dollars du budget de la police approuvée par la maire Olivia Chow en février 2024 a donné lieu à de nombreux cas de brutalité policière et à des dizaines d'arrestations sans fondement destinées à affaiblir le mouvement contre le génocide.

 « Ce n'est vraiment qu'après les manifestations de solidarité avec la Palestine que ce règlement a été proposé », a commenté Louise, une militante juive de Voix juives indépendantes.

« Les manifestations dans les synagogues n'ont pas visé les fidèles. Elles ont eu lieu à l'occasion d'événements politiques [comme des ventes immobilières de terres occupées] qui se sont déroulés dans des synagogues », a-t-elle déclaré à L'Étoile du Nord.

« Dire aux gens qu'ils ne peuvent pas protester contre l'État d'Israël—nous n'avons pas de telles règles pour d'autres pays. Tout état qui prend des décisions politiques doit être critiqué lorsque ces décisions causent du tort à la population. »

Manifestation de solidarité avec la Palestine à Toronto en octobre 2023.

Allégations douteuses d'antisémitisme

Les conseillers municipaux se sont concentrés sur les manifestations devant les synagogues pour justifier ce règlement. Louise affirme que ces incidents ont été déformés pour correspondre à des récits erronés et alarmistes et pour confondre dangereusement les critiques politiques légitimes de l'État d'Israël avec l'antisémitisme.

« Ainsi, des ventes immobilières [ont lieu] dans des synagogues où sont vendus des terrains situés dans des territoires internationalement reconnus et illégalement occupés », explique-t-elle. « Cela pose la question de savoir s'il est justifié d'utiliser un espace sacré pour vendre des terres illégalement occupées. »

« Le droit de protester inclut les protestations des institutions religieuses », ajoute M. Ghiassi. « Par exemple, plusieurs églises ont été impliquées dans les pensionnats autochtones au Canada. Il serait absurde de dire que les gens ne devraient pas avoir le droit de protester contre ces églises, de la même manière qu'il est absurde de suggérer que les gens ne devraient pas avoir le droit de protester contre la vente illégitime de terres palestiniennes dans certaines synagogues. »

Des manifestations près d'autres institutions juives de la ville ont été invoquées pour justifier ce projet de loi, notamment une marche dont l'itinéraire passait par l'hôpital du Mont Sinaï.

Les allégations d'antisémitisme lors de ce rassemblement d'urgence, qui s'est tenu alors qu'Israël bombardait intensément Rafah, sont infondées. La manifestation passait devant l'hôpital sur son itinéraire habituel de l'avenue de l'Université et ne manifestait pas à l'extérieur de l'hôpital.

Un processus de consultation déficient

Bien que la ville se soit engagée depuis un mois dans des consultations visant à recueillir les commentaires des membres de la communauté sur le règlement, le processus a été critiqué comme étant biaisé, mal conçu et profondément défectueux.  

Les questions posées lors de la consultation sont condamnées par la coalition, car elles renforcent les stéréotypes négatifs et présupposent un accord sur le fait que certaines institutions sont effectivement vulnérables.

L'une des questions, par exemple, est la suivante: « À quelle fréquence avez-vous vécu et/ou ressenti l'un des éléments suivants lors d'une manifestation à Toronto? » Cinq des huit options proposées reflètent des sentiments négatifs tels que « Je n'ai pas pu accéder au bâtiment que je souhaitais » ou « J'ai peur ».

Une autre question demande: « Si Toronto adoptait un règlement interdisant certaines activités à des distances spécifiques autour d'institutions vulnérables, quelle distance serait selon vous la plus appropriée? »

« Je ne suis pas opposé aux consultations publiques en général, mais l'enquête doit être bien conçue », déclare M. Ghiassi. « Ici, l'enquête est mal conçue et risque d'obtenir des résultats faussés. On peut imaginer que vous obtiendrez des réponses différentes si vous demandez à quelqu'un: “Ces manifestants ne sont-ils pas ennuyeux?” et si vous lui demandez: “Devrions-nous détruire le droit de réunion pacifique?” ».

Une attaque contre les mouvements sociaux

Les consultations relatives au règlement municipal se sont achevées le 1er mai. La ville doit maintenant présenter un rapport basé sur ses conclusions. Bien que la ville affirme que le règlement « n'a pas pour but d'interdire les manifestations pacifiques et légales », la menace qui pèse sur les mouvements sociaux et le silence discriminatoire du mouvement propalestinien en particulier est claire.

Le droit de manifester et d'occuper l'espace dans la rue a été le moteur du progrès social tout au long de l'histoire. Ce règlement risque de faire régresser des libertés durement acquises.

 « Je pense que les conseillers municipaux doivent faire preuve de courage en ce moment », déclare Louise. « Je sais qu'il y a beaucoup de craintes. Mais l'érosion de nos droits ne s'arrête jamais à la première chose. Il faut s'y opposer. Si on laisse faire, il y en aura d'autres. Il faut donc y mettre un terme dès maintenant. »

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