L'Étoile du Nord

Couverture des grèves dans les médias

Ces journaux qui méprisent les travailleurs

Les grèves se multiplient au Canada (plus de 700 en 2024) et prennent logiquement plus de place dans les médias. Pourtant, chaque fois que des travailleurs tentent d’améliorer leurs conditions, les médias traditionnels trouvent mille raisons de s’y opposer. Peu importe qu’il s’agisse d’infirmières épuisées, de travailleurs d'entrepôt mal payés, de postiers qui voient leur entreprise s'écrouler: au lieu de relayer leur point de vue, ils l’écartent presque systématiquement.

Par exemple, tout le long de la grève dans le secteur résidentiel de la construction au Québec, entamée le 28 mai et levée la semaine dernière, des médias comme La Presse ou Le Journal de Montréal se sont empressés de marteler que les ouvriers de la construction gagnent déjà bien assez. On nous rappelle aussi, à répétition, qu’ils ont le droit légal de continuer à travailler malgré la grève. 

Même son de cloche du côté du conflit chez Postes Canada qui a repris depuis la fin mai, avec des titres comme Postes Canada attribue 208 millions $ de pertes à la grève, sur un total de 1,3 milliard $ en 2023. Merci au National Post pour sa subtilité!

Ce qui est sûr, c'est qu'on entend très rarement parler du conflit à partir du point de vue des premiers concernés. Peu de médias traditionnels prennent la peine d’approfondir les raisons qui poussent les travailleurs à débrayer. Encore plus rares sont ceux qui critiquent les employeurs avec la même rigueur qu’ils appliquent aux grévistes.

Dans les chroniques, le biais est plus assumé. Mais c’est dans les articles dits « d’information » que s’insinue une propagande subtile, mais bien réelle, contre les travailleurs.

Distraire pour mieux diviser

Un exemple d’article mettant des bâtons dans les roues des travailleurs au profit des employeurs est Pourquoi les salaires dans la construction sont-ils si élevés? L'article, publié dans La Presse et signé par Marie-Ève Fournier, a beaucoup fait réagir. Dans le premier paragraphe, elle écrit:

« Les salaires dans la construction déclenchent toujours des réactions et des débats. Cette année, les travailleurs du secteur résidentiel réclament 8% d’augmentation, ce qui porterait leur taux horaire de base à 45$. Ça frappe l’imaginaire. Et pendant qu’on s’inquiète de la hausse du prix des maisons, un autre déséquilibre s’aggrave. Les hommes peu scolarisés s’enrichissent… pendant que les femmes sans diplôme piétinent. »

À première vue, l’auteure semble vouloir dénoncer les bas salaires dans les emplois majoritairement occupés par des femmes. Déjà, elle passe complètement sous silence le fait que, ces dernières années, plus de 10% des nouvelles embauches sur les chantiers sont des femmes.

Mais surtout, elle construit un argumentaire sournois. Avant même d’entrer dans le fond du sujet, elle oppose subtilement les travailleurs de la construction à d’autres travailleurs précaires. Ce cadrage lui permet de se placer du côté du patronat, tout en affichant une posture soi-disant bienveillante envers la classe ouvrière.

De cette façon, elle passe sous silence un fait fondamental: ce sont les propriétaires des entreprises qui imposent la précarité grâce à leur dictature économique. Ce n’est pas le salaire des ouvriers qui est la cause principale de l’augmentation du coût de la vie ni des compressions dans les services publics. Ce sont d'ailleurs ces compressions qui causent souvent des grèves en réaction!

Comme l’a souligné Marc-André Blanchette, représentant technique de l’Union des opérateurs de machinerie lourde (local 791), dans une réponse à l’article de La Presse, le salaire des ouvriers reflète la difficulté du travail ainsi que les risques pour leur santé (et parfois même leur vie). Et ce salaire décent n’est pas tombé du ciel! Ce sont l’organisation collective des travailleurs et plusieurs décennies de lutte contre leurs patrons qui leur ont permis d’obtenir ces gains.

« Pourquoi est-ce choquant que des hommes et des femmes qui n'ont pas passé 20 ans sur les bancs d'écoles gagnent un revenu décent? » écrit Blanchette. « Parce que, pendant des décennies, ces travailleurs ont été maintenus dans la précarité et ont décidé de s'organiser syndicalement. »

Quand les chroniqueurs des grands médias présentent le conflit sous cet angle, les revendications et les problèmes réels qui mènent à la grève disparaissent de l’avant-scène. Le discours change, alors qu’on ne parle plus de pourquoi les travailleurs se mobilisent, mais plutôt de s’ils méritent ou non une vie un peu plus décente.

La « prise en otage » de la population

Ce qu’on a vu aussi, notamment lors de la grève de Postes Canada en 2024, c’est un bombardement agressif d’articles souvent très détaillés, qui ne parlent que des conséquences sur les PME. On accuse les grévistes de « prendre la population en otage », comme si les travailleurs ne faisaient pas eux-mêmes partie de cette « population ». La grande majorité du temps, aucun travailleur n’est interviewé. Et leurs revendications sont à peine mentionnées, voire complètement absentes.

À titre d’exemple, en parcourant une cinquantaine d'articles publiés entre le 20 novembre et le 12 décembre 2024 par Radio-Canada/CBC, La Presse, City News, Le Journal de Montréal et le National Post, un seul expliquait en détail les revendications des postiers. Un autre citait brièvement une travailleuse en grève, sans réellement donner le contenu de ses demandes.

Le reste des textes blâmait les grévistes pour la suspension des livraisons de passeports par Service Canada, s’inquiétait de l’impact sur les achats du Black Friday, appelait à la privatisation de la société d'État, ou rapportait que les PME perdaient de l’argent, avec des titres comme: « Pourquoi s'en prendre au peuple?»—la grève chez Postes Canada a déjà coûté 1,5 G$ aux PME

À noter qu’une grande partie de ces articles avaient d’abord été rédigés par l’agence La Presse Canadienne, puis achetés et diffusés par les grands médias. Une proportion aberrante de l’information sur la grève provenait donc d’une seule et même source: l’agence de presse quasi-monopolistique du pays, La Presse Canadienne, propriété de Power Corporation (un conglomérat dont la valeur dépasse les 600 milliards).

Des intérêts différents

Peut-on vraiment croire que des médias comme le National Post (possédé par un fond de spéculation obscure du New Jersey) ou Le Journal de Montréal (la propriété de l'oligarque Pierre-Karl Péladeau) ont la volonté, ou même la capacité, d’être des sources d’information crédibles pour les travailleurs?

Le cas de CBC/Radio-Canada, société d’État, est un peu différent. Mais rappelons que c’est ce même gouvernement fédéral qui a forcé le retour au travail des 55 000 employés de Postes Canada, en grève jusqu’en mai dernier. Dans ce contexte, quel est l’intérêt, pour la classe ouvrière, de s’informer à travers des médias qui ne prennent même pas la peine de représenter son point de vue?

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