Le documentaire « Sept-Îles '72: Archives du monde ordinaire », projeté le 5 juin à Montréal dans le cadre d'une séance spéciale avec son réalisateur Etienne Langlois, raconte de façon captivante un des épisodes les plus mouvementés de l'histoire ouvrière du Québec. Le film s'appuie sur une immense quantité d'archives, juxtaposées aux images du Sept-Îles d'aujourd'hui, et sur le témoignage de plusieurs témoins et auteurs de l'occupation de la ville par les travailleurs.
Tout en reconnaissant que le mouvement du Front commun de 1972 ait fait trembler le pouvoir partout à travers la province, le film tente d'expliquer pourquoi c'est dans cette ville de la Côte-Nord, qui comptait environ 15 000 personnes à l'époque, que la lutte a pris une telle ampleur. Blocage par les travailleurs de tous les accès terrestres et aériens à la ville, débrayage dans toutes les industries, prise de contrôle de la station de radio; les travailleurs ont brièvement pris le contrôle de Sept-Îles.
Le documentaire refuse d'entrer dans une conception qui laisse croire que les grands moments de l'histoire sont causés par les décisions d'une poignée d'individus et de leaders plus importants que la masse. Plutôt, l'histoire est racontée par les travailleurs, les délégués syndicaux, les supporters du mouvement de grève et quelques-uns de ses opposants.
On part entre autres à la rencontre de plusieurs membres fondateurs du Front des travailleurs unis (FTU), dont Réjean Langlois, le père du réalisateur. Le FTU, une organisation extrasyndicale qui défendait les intérêts politiques des travailleurs de Sept-Îles, comptait déjà quelque 800 membres avant même le mouvement de grève de '72. Le Front militait notamment en faveur de logements abordables pour les travailleurs alors que la bourgeoisie s'imposait de plus en plus sur la Côte-Nord.

Au cours des années ayant précédé le Front commun de 1972, le FTU et les travailleurs qui en faisaient partie se radicalisaient de plus en plus, en partie à cause de la répression de leurs activités par la police et les patrons locaux. Ils prônaient de plus en plus la lutte des classes et l'opposition au capitalisme, alors qu'ils invitaient des personnages comme Michel Chartrand à venir prononcer des discours dans leur ville. Lorsque les travailleurs prennent le contrôle du poste de radio CKCN, en plein cœur de l'occupation de la ville, ce sont des textes anticapitalistes du FTU qu'ils y diffusaient en plus des communiqués syndicaux officiels.
C'est en grande partie l'existence préalable de cette organisation qui explique pourquoi c'est à Sept-Îles que le mouvement a pris une telle ampleur; beaucoup de travailleurs étaient déjà en colère contre le patronat et le gouvernement lorsque la grève du Front commun a été déclarée. On dit donc qu'ils ont été « les premiers à partir en grève, et les derniers à retourner travailler ».
Le documentaire met aussi en lumière les causes de la fin de l'occupation ouvrière de la ville. L'attentat à la voiture-bélier ayant blessé plus de 30 manifestants et tué le jeune Hermann St-Gelais a été le premier coup majeur qui a ralenti le mouvement, mais il ne l'a pas arrêté complètement pour autant. Il aura fallu une centaine d'antiémeutes, le même nombre d'arrestations arbitraires, et une quasi-loi martiale dans toute la ville pour cesser l'occupation.
En bref, c'est à travers le récit des acteurs et des témoins de l'insurrection ouvrière de Sept-Îles que ce film nous aide à bien comprendre comment ce genre d'explosion sociale peut se déclencher et s'éteindre tout aussi rapidement. Il nous rappelle aussi que derrière ce genre de grand soulèvement, il y a toujours un contexte politique qui bouillonne depuis longtemps.