On dirait qu’on nous rejoue un mauvais film: les États-Unis sont près d’entrer en guerre contre un pays du Moyen-Orient qui posséderait des armes de destruction massive. Ce pays serait trop dangereux pour la stabilité de la région… Malgré les airs de flashback au début des années 2000 et à la guerre d’Irak, on parle bien de l’Iran de 2025.
Même si tous les conglomérats médiatiques présentent les attaques d’Israël sur Téhéran et sur des installations nucléaires iraniennes comme « préemptive », rien n’est plus faux. Ces attaques étaient illégales selon le droit international.
La vérité sur cette guerre à venir, c’est que le gouvernement et l’oligarchie américaine sont enthousiastes de porter le dernier coup à la résistance contre leur domination politico-économique dans la région. Et s’ils continuent dans cette voie, ces riches Américains déconnectés pourraient bien entraîner d’autres grandes puissances dans un affrontement extrêmement dangereux pour la classe ouvrière de tous les pays impliqués.
Un aperçu du rapport de force
À la fin des années 1990, les États-Unis s’imposaient comme les « maîtres du monde ». La victoire contre l'URSS après un demi-siècle de guerre froide (souvent plus chaude qu’autrement) permettait à l'oligarchie américaine de dominer politiquement et économiquement la majeure partie du globe. Terminé le monde bipolaire, où chaque bloc gagnait des zones d’influence au prix d’accords diplomatiques ou de massacres: il ne restait plus que l’Oncle Sam, ses alliés… et quelques groupes et États s’opposant farouchement à l’hégémonie américaine.
À l’époque, la Russie et la Chine n’avaient pas encore une oligarchie assez puissante pour se battre avec les États-Unis pour avoir une part de la domination politico-économique du monde (contrairement à aujourd’hui).
Au Moyen-Orient, le camp américain comptait sur sa présence militaire et ses alliés, Israël et l’Arabie saoudite. La seule opposition sérieuse provenait de l'Iran, qui a passé les trois dernières décennies à bâtir un « axe de la résistance ». Celui-ci comptait sur les milices chiites irakiennes, le Hezbollah au Liban, le régime Assad en Syrie, les Houthis au Yémen, et plus récemment, sur le Hamas.
Mais depuis 2020, cet axe s'effondre. Le Hezbollah et le Hamas ont été fortement affaiblis par la guerre d’extermination d’Israël. Les Houthis ont été neutralisés par des frappes massives en mer Rouge. Et Assad a finalement été renversé, après des années de guerre. L’Iran se retrouve maintenant seul au Moyen-Orient, face à un Israël surarmé, sûr de lui, et protégé par l’Occident.
C’est dans ce contexte que le premier ministre israélien Netanyahu vient de déclencher l’opération Rising Lion, visant à assassiner la haute direction iranienne et à détruire ses installations militaires et nucléaires. La raison officielle: l’Iran serait à deux doigts de fabriquer une bombe nucléaire, ce qui justifierait, selon Tel-Aviv, des frappes « préemptives ».

Le droit international réserve ce terme aux attaques empêchant un assaut imminent, preuve à l’appui. Or, il n’existe aucune information sur le fait que Téhéran planifiait une attaque dans le court terme, et Israël n’a rien prouvé.
Depuis, l'escalade est constante. Les deux pays s'envoient des missiles chaque jour et se lancent des menaces par déclarations à la télévision et sur Twitter. Une guerre directe entre Israël et l’Iran semble de plus en plus inévitable, avec les États-Unis dans le siège conducteur.
D'abord comme tragédie, puis comme farce
Comme nous l'avons déjà dit, le mauvais film de la guerre d’Irak repasse sous nos yeux, et les médias restent aveugles aux ressemblances. En 2003, Washington a justifié l’invasion de l’Irak avec les mensonges les plus meurtriers du 21e siècle: « armes de destruction massive », liens avec al-Qaïda… Un récit fabriqué par les services de renseignement américains, relayé sans scrupule par la Maison-Blanche et les grands médias.
Résultat: certains des pires crimes de guerre commis depuis la Deuxième Guerre mondiale, motivés par la mainmise sur le pétrole irakien. Cette invasion a causé entre 268 000 et 295 000 morts directes, selon l'étude massive Cost of War Project. D'autres études estiment jusqu’à un million de victimes en comptant les effets indirects (infrastructures, santé, épidémies…).
Aujourd’hui, on voit le même scénario se répéter. Netanyahu hurle qu’il faut stopper l’Iran, qui a la mainmise sur d’importantes ressources naturelles, « avant qu’il ne soit trop tard ».
Bien sûr, une nouvelle puissance nucléaire, ça inquiète, peu importe le drapeau, mais Israël crie au loup depuis 1992. Ils ont déclaré de façon répétée depuis cette époque que l'Iran allait terminer la fabrication d'une bombe à court terme (1995, 2001, 2002, 2012, 2021…) Et comment oublier « Bibi » à l’ONU, brandissant un dessin de bombe caricaturale pour affirmer que l’Iran était à 90% du seuil nucléaire? Treize ans plus tard, toujours rien. Les Iraniens doivent être très perfectionnistes!
Et même si la menace était réelle, difficile de prendre au sérieux ceux qui la dénoncent. Israël, une puissance nucléaire non déclarée, refuse de signer le Traité de Non-Prolifération de l'arme nucléaire, mais exige que l’Iran, signataire de ce même traité, se soumette aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Et pire encore, elle s’appuie sur les États-Unis (seul État à avoir utilisé l’arme atomique) pour neutraliser Téhéran! C’est le monde à l’envers.
En 2015, l’Iran avait pourtant signé un accord avec les membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU et l'Allemagne. Celui-ci limitait son programme nucléaire en échange d’inspections renforcées et d’un allégement des sanctions économiques imposées depuis 2006. L’AIEA a validé sa conformité chaque année… jusqu’à ce que Trump torpille l’accord en 2018 et relance les sanctions, au grand désarroi des Européens.
Deux ans plus tard, Trump a autorisé personnellement l’assassinat de Qasem Soleimani, figure clé de « l’axe de la résistance », tué à Bagdad alors qu’il rencontrait le premier ministre irakien. Et aujourd’hui, il prétend vouloir renégocier. Difficile de blâmer l’Iran de se méfier.
Évidemment, chaque arme nucléaire de plus est dangereuse pour la classe ouvrière et les peuples, parce que cette arme vise nécessairement des civils. Mais malheureusement, elle devient fondamentale pour tout régime qui s’oppose à l’une ou l’autre grande puissance nucléaire et à son arsenal menaçant.
Assurément, le régime iranien est brutal envers les pauvres et les femmes, écrasant toute opposition. Mais rien ne justifie que des superpuissances sacrifient des populations entières pour défendre leurs intérêts politico-économiques. L’avenir des Iraniens devrait appartenir aux Iraniens, pas au président d’un pays étranger.
Finalement, plus les tensions montent, plus grand est le risque d’un embrasement planétaire. Comme nous l’avons mentionné, la Chine et la Russie concurrencent maintenant les États-Unis pour leurs marchés internationaux et leur domination politique. Ainsi, chaque pas vers l’escalade en Ukraine, en Palestine ou désormais en Iran, nous rapproche d’une confrontation ouverte entre ces grandes puissances. Hors de question de replonger dans cet abattoir d'ouvriers pendant que les oligarques jouent à Risk sur écran géant, bien au chaud.
Et le Canada, dans tout ça?
Le premier ministre à l’époque de la guerre en Irak, Jean Chrétien, avait refusé de traîner le pays dans une guerre sans avoir l’autorisation préalable du Conseil de Sécurité des Nations Unies. On pourrait penser que le Canada a refusé de participer à la guerre en raison de son illégalité! Mais en réalité, ça n’a pas fait obstacle à la participation directe du Canada dans d’autres conflits par le passé (Kosovo, Afghanistan).
Ce qui a fait la différence, c’est que la guerre en Irak était, à ce moment-là, hautement impopulaire chez les Canadiens, grâce à un fort mouvement antiguerre à l’époque. Les sondages de l’époque révèlent que la grande majorité des Canadiens (à 90%) s'opposent à la guerre. Tout ça avait d’ailleurs culminé avec une manifestation de 200 000 personnes à Montréal, le 15 mars 2003, juste avant l’invasion.

Ce mouvement est apparu dans le cadre du mouvement altermondialiste, qui s’opposait à la montée du néolibéralisme. Il avait déjà une immense portée à l’époque et a permis une mobilisation forte et rapide. Mais si le scénario de justification de la guerre est semblable, la situation des mouvements antiguerre ne l’est pas. Aujourd’hui, les forces sont plus éparpillées, et la population est plus divisée.
L’exemple qui en est le plus près est le mouvement de défense de la Palestine. Même si certains de ses éléments tombent parfois dans la guerre culturelle au lieu de s’en détacher, ce mouvement a réussi à exposer les atrocités en cours dans la bande Gaza. Grâce à eux, dans les derniers sondages, environ la moitié de la population du Canada dit être d’accord que c’est réellement un génocide que commet Israël.
Il faut aussi rappeler toutes les nouvelles initiatives qui visent à reconstruire la capacité organisationnelle et la combativité de la classe ouvrière. Si elles peuvent sembler sans rapport direct, il faut se souvenir de l’importance que peut avoir ce genre de structures fortes et durables, avec un rapport de force économique puissant.
En plus des soldats qui se rendent au front, c’est tout un réseau manufacturier et logistique qui doit être mobilisé pour permettre l’entrée en guerre d’un pays. Si la classe ouvrière du Canada s’oppose au conflit, comme en 2003, et refuse de participer à ce réseau, il sera impossible de fournir l’appareil militaire avec les vivres, les armes et les outils utilisés sur le champ de bataille.
Et ce sera un acte fort en opposition à un autre conflit insensé.