L'Étoile du Nord

La lutte continue à Amazon

Des travailleurs d’Amazon se syndiquent à Delta, en C.B.

Les travailleurs du centre de distribution YVR2 d'Amazon, situé à Delta (Colombie-Britannique), ont obtenu la reconnaissance officielle de leur syndicat à la suite d’une décision de la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique (BCLRB). Cette décision a donné raison à la plainte pour pratiques déloyales de travail déposée par le syndicat Unifor, et a ordonné la reconnaissance syndicale de l’entrepôt à titre de mesure corrective.

La décision indique également qu’« Amazon a embauché du personnel de manière excessive, dans le but et avec pour effet d’entraver la campagne de syndicalisation », et que « l’entreprise a enfreint le Code par sa campagne antisyndicale généralisée ».

Une campagne de longue haleine

La campagne de syndicalisation d’Unifor à YVR2 a débuté en juin 2023. En avril 2024, le syndicat a soumis une demande à la BCLRB, estimant avoir franchi le seuil requis de 55 % des travailleurs ayant signé une carte syndicale, ce qui aurait permis une certification automatique. Toutefois, Unifor a retiré cette première demande, jugeant que « le nombre de travailleurs déclaré par Amazon était suspicieusement élevé ». Une seconde demande a été déposée en mai 2024 et un vote a été tenu ce même mois, mais les résultats ont été scellés lorsque le syndicat a officiellement porté plainte pour pratiques déloyales.

Lors des audiences, des employés de YVR2 ont témoigné qu’Amazon avait lancé une vaste campagne de recrutement dans les cinq mois précédant le vote, augmentant de 32 % le nombre d’employés dans le but de diluer l’effet de la mobilisation syndicale. 

Les travailleurs ont aussi raconté avoir été soumis à une grande campagne antisyndicale. Kirandeep Kaur, l’une des employées d’Amazon, a affirmé que de la propagande antisyndicale était visible dans tout le bâtiment: sur les écrans de télévision, des affiches et même sur les tables de cafétéria. Kaur et une autre travailleuse, Kimberley Kodama, ont également témoigné avoir été convoquées à des rencontres individuelles avec des gestionnaires qui leur posaient des questions sur les activités syndicales. 

Kodama a aussi parlé de réunions obligatoires où un gestionnaire répondait à des questions sur les syndicats dans la salle de pause. Lorsqu’elle a mentionné qu’elle ne devrait pas avoir à assister à cela durant son temps de pause non payé, on lui a simplement répondu qu’elle pouvait utiliser une autre, plus petite, salle de pause.

Enfin, Kaur, Kodama et d'autres collègues ont affirmé qu’Amazon avait tenté de dissuader les employés de signer une carte syndicale en assouplissant les politiques de productivité et en distribuant des récompenses et de la nourriture habituellement non offertes.

Réaction d’Unifor

S’adressant à l'Étoile du Nord, Justin Gniposky, directeur de l’organisation syndicale chez Unifor, a insisté sur la solidité de l’organisation à la base dans cette victoire.

« L’aspect le plus important a été d’entendre les travailleurs qui ont témoigné et confronté leur employeur », a-t-il souligné. Il a expliqué qu’il y avait deux éléments essentiels : d’abord, l’entreprise avait massivement augmenté ses effectifs pour diluer les votes, ce qu’ils ont pu démontrer à l’aide de communications internes et de documents obtenus lors de la divulgation; ensuite, l’employeur avait franchi les limites acceptables dans sa campagne antisyndicale en impliquant des membres de la direction de façon inadéquate. « Et ce sont les travailleurs qui devaient raconter cette histoire, car eux seuls pouvaient le faire avec une telle crédibilité. C’est une chose de l’écrire, mais en entendre le récit directement des personnes concernées, c’est tout autre chose. »

« Il y a beaucoup de rôles dans une campagne de syndicalisation, et l’un des plus importants est de surmonter la peur : la peur de représailles, de perdre son emploi, etc. Ces gens ont mis l’intérêt collectif au-dessus de cette peur. »

Gniposky a souligné que cette victoire a des répercussions à l’échelle nationale, voire internationale. Il a rappelé qu’Amazon a historiquement refusé de négocier collectivement, comme dans le cas de l’Amazon Labor Union au centre JFK8 de New York, qui n'a jamais pu obtenir de convention collective. Au Québec, Amazon a tout simplement cessé toutes ses activités lorsque les travailleurs de l’entrepôt DXT4 de Laval se sont syndiqués avec le Syndicat des travailleurs et travailleuses d’Amazon Laval. 

Comme au Québec, la Colombie-Britannique a une législation qui oblige Amazon à négocier de « bonne foi », sous peine de voir une première convention collective imposée par la BCLRB.

Gniposky a aussi souligné l’importance de cette réussite en rappelant que plusieurs grandes victoires ont été remportées depuis la pandémie chez Walmart, Honda et Toyota — des lieux de travail où le syndicat avait longtemps tenté d’entrer. 

« C’est vraiment un symbole d’espoir pour les travailleurs. C’est crucial pour nous, mais aussi pour l’ensemble du mouvement syndical au Canada et dans le monde. Ce genre de victoire, il en existe très peu sur la planète. Et pour l’instant, c’est la seule au Canada, malheureusement, mais on va tout faire pour que ce ne soit pas la dernière. On est prêt à travailler avec n’importe quel syndicat qui veut appuyer des travailleurs d’Amazon. »

Un combat qui se poursuit

Amazon a déjà annoncé son intention de faire appel de la décision.

« Ce n’est pas une surprise », a déclaré Gniposky. « Ils font appel pour faire peur aux travailleurs, mais cela ne change rien : nous sommes certifiés. L’étape suivante pour nous est de préparer la négociation. Qu’Amazon fasse appel ou non, ou qu’ils essaient une autre tactique, cela ne change rien au fait que ces travailleurs sont maintenant syndiqués et ont le droit d’aller à la table de négociation. Notre priorité immédiate est d’être présents, de communiquer avec les travailleurs, de cerner les priorités de négociation, d’élire un comité de négociation et de s’asseoir à la table. »

« Et nous ne sommes pas naïfs », a-t-il ajouté. « On a vu ce genre de choses se produire ailleurs. Ils vont essayer de se battre, mais nous allons utiliser tous les outils à notre disposition — les lois de la C.-B., l’arène politique, notre organisation interne, et les autres campagnes en cours — pour les forcer à venir négocier cette première convention collective en Amérique du Nord. »

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