L'Étoile du Nord

Les plaintes pour abus en hausse dans les prisons d’Ontario

Fouillés à nu, menottés, et laissés dans un froid glacial

L'ombudsman de l'Ontario sonne l'alarme au sujet de la « crise grandissante » dans les prisons provinciales, affirmant qu'une réforme urgente est nécessaire.

Un nombre record de 6 870 plaintes concernant les conditions de détention dans les établissements correctionnels de l’Ontario ont été signalées en 2024-2025 auprès du Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario. L’organisme fait état d’« une augmentation notable du nombre et de la gravité des plaintes ». À lui seul, le complexe correctionnel de Maplehurst, à Milton, a fait l’objet de 722 plaintes au cours de la dernière année, soit plus du double de celles recensées en 2023-2024.

Détenus, familles et citoyens s'inquiètent face à la surpopulation carcérale et aux conditions de vie dégradantes dans les prisons canadiennes. Le mois dernier, le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario a lancé une enquête sur les conditions de détention à Maplehurst après de multiples plaintes liées à un incident survenu en décembre 2023.

Selon les signalements, près de 200 des 1500 détenus de Maplehurst ont été forcés à se déshabiller, attachés avec des colliers de serrage aux poignets face à un mur, puis laissés dans un froid extrême. L’incident aurait eu lieu après qu’un détenu a frappé un agent. Le 16 juin, d’anciens et actuels détenus ont déposé une action collective en justice en lien avec cet événement.

La poursuite Chisholm c. Ontario réclame 30 millions de dollars en dommages et intérêts pour les actes jugés illégaux commis par les autorités pénitentiaires. Les allégations comprennent des fouilles à nu cellule par cellule, des agressions systématiques, des poignets tordus par les colliers de serrage, l’utilisation de poivre de cayenne, ainsi que des passages à tabac.

Le personnel de Maplehurst aurait également activé les ventilateurs d’extraction, laissant pénétrer l’air glacial dans les cellules alors que les détenus étaient nus, sans couvertures, papier toilette, douches, traitements médicaux, accès au téléphone, ou autres nécessités, pendant plus de deux jours.

La poursuite affirme que la fouille à nu de masse, les agressions systématiques et la punition collective ont violé plusieurs dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment les articles 7, 8 et 12. Ceux-ci garantissent le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, le droit à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives, et le droit de ne pas subir de traitements ou peines cruels et inusités.

Avant l’ouverture de l’enquête, le Bureau de l’Ombudsman avait reçu 60 plaintes en lien avec l’incident de décembre. Il signale aussi que certains détenus ont bénéficié d’une réduction de peine en raison du traumatisme subi. L’enquête en cours ne portera toutefois pas sur la conduite des agents correctionnels individuellement.

Les gouvernements provinciaux et fédéral s'accordent pour restreindre la liberté sous caution

Cette augmentation de plaintes survient alors que les libéraux de Carney prévoient un nouveau projet de loi sur la criminalité, qui rendrait encore plus difficile l’obtention de la libération sous caution, selon l’infraction. Le projet de loi, qui devrait être présenté cet automne, vise à modifier les conditions de libération et les peines liées au crime organisé, aux invasions de domicile, au vol de voitures avec violence, ainsi qu’aux infractions de trafic et de contrebande.

Ce projet fait suite à la loi C-48, entrée en vigueur le 4 janvier 2024, qui élargit les cas où le renversement du fardeau de la preuve s’applique—obligeant certains prévenus à justifier pourquoi ils méritent une libération sous caution. Le gouvernement affirme cibler les criminels violents organisés, les personnes déjà condamnées avec usage d’armes, et les auteurs de violence conjugale. Cependant, plusieurs critiques s’inquiètent des effets disproportionnés sur les pauvres.

Des expertes comme Julia Quigley, présidente du syndicat des avocats de l’aide juridique en Saskatchewan, soulignent que ce projet de loi fédéral pourrait violer les droits garantis par la Charte. Tout accusé a le droit de ne pas être privé de liberté sans motif valable et bénéficie de la présomption d’innocence, ce qui signifie qu’une détention sans condamnation constitue une atteinte grave à ses droits. 

Selon Statistique Canada, la majorité des adultes dans les services correctionnels sont en détention provisoire, et non en détention après condamnation. Depuis 2018, la population en détention provisoire dépasse de 70% celle en détention après condamnation.

Les premiers ministres de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique ont tous plaidé pour des réformes de la libération sous caution ces dernières années. En mars 2023, Kelvin Goertzen (Manitoba) et Scott Moe (Saskatchewan) ont réclamé l’élargissement du renversement du fardeau pour les infractions impliquant des armes à feu, couteaux, bombes lacrymogènes ou actes violents. 

En juin 2023, David Eby (C.-B.) a ordonné aux procureurs de refuser par défaut la libération sous caution en cas de violence. Début 2023, Doug Ford (Ontario) a annoncé un investissement de 112 millions de dollars pour créer des équipes de surveillance des libérations sous caution, renforcer les Unités d’arrestation des récidivistes de la Police provinciale de l'Ontario, et utiliser la surveillance GPS pour suivre les accusés à haut risque.

Enfin, en juin, une enquête du coroner a pris fin concernant les sept décès par overdose survenus à Maplehurst entre 2017 et 2019. Le jury a formulé 23 recommandations pour prévenir les futures overdoses, notamment une meilleure formation du personnel correctionnel et la distribution de trousses de naloxone.

D’autres recommandations du Bureau de l’Ombudsman concernant les établissements correctionnels de l’Ontario sont attendues dans le cadre de l’enquête en cours.

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