Le logement est au menu dans les nouvelles canadiennes. Son prix, le nombre de maisons qu’on ne construit pas, et les fortunes à se faire en immobilier. Depuis décembre 2024, le prix moyen d’une maison a baissé de 20 000$, et les loyers ont reculé un peu dans les neuf derniers mois. Les grands médias se sont empressés d’annoncer, triomphants, « la nouvelle ère d’accessibilité » pour les Canadiens.
« Les loyers baissent, les maisons sont plus abordables », disent-ils. De quoi réjouir certains… sauf que, si on recule un peu pour regarder l’état réel du logement au pays, une conclusion saute aux yeux: les médias dominants couvrent les gros proprios, les promoteurs et les fiducies de placement immobilier (REIT).
Oui, c’est vrai. Le prix moyen d’une maison a reculé d’environ 20 000$ depuis décembre. Plus précisément, on parlait de 712 000$, contre 689 000$ en juin. La mise de fond nécessaire pour s'acheter cette maison moyenne? 43 900$. Sauf que, selon Statistique Canada, le Canadien moyen gagne 58 700$ par année. Pour acheter, il faudrait donc aligner les trois quarts de son revenu annuel dès le départ… puis s’enchaîner à une hypothèque pendant des décennies.
Côté loyers, les médias n’ont pas tort non plus. Ça a baissé un peu: -6,5 % à Vancouver, -5,1 % à Toronto et -2,5% à Montréal. Mais le loyer réel pour un 3½ dans ces villes? 2529$, 2283$ et 1966$. Autrement dit, même après la « grande baisse » dont on parle partout, un travailleur canadien devrait encore donner la moitié de sa paye à son proprio.
Malgré une crise de l’abordabilité bien vivante, les médias mainstream enchaînent les chroniques sur la supposée baisse des prix. Les uns prétendent que « c’est un marché de locataires », les autres se lamentent sur le « ralentissement du marché immobilier ».

En mai, Radio-Canada écrivait: « Si vous cherchez un logement à Toronto ou voulez passer à plus grand, c’est pas un mauvais moment pour magasiner »—sous prétexte que 2300$ par mois, c’est mieux que 2400$. Ils vont même jusqu’à dire que cette baisse « donne plus de pouvoir de négociation aux locataires ».
Évidemment, début juillet, Radio-Canada a dû se raviser: « Les loyers baissent dans la plupart des grands marchés, mais plusieurs locataires ne ressentent pas de soulagement. » Ben oui… quand ton loyer avale encore la moitié de ton salaire, difficile de sentir le « répit ».
Le Financial Post, citant un économiste senior de BMO, affirme que le marché immobilier reste au neutre à cause de « ventes au ralenti, d’un flot constant de nouvelles inscriptions et de prix à la baisse ». Selon le FP, la petite hausse des ventes en juin s’expliquerait par des vendeurs qui ont fini par lâcher prise sur leurs fantasmes de prix dignes de la grande folie immobilière de 2022. Rappelons qu’en 2022, le prix moyen d’une maison dépassait les 873 000 $. Les spéculateurs, banquiers et magnats de l’immobilier, eux, attendent patiemment que le marché « rebondisse complètement ».

Du côté de CTV, on parle carrément d’un marché un peu refroidi qui « sème le chaos » chez les promoteurs. S’appuyant sur la firme de consultants Urbination, CTV écrit: « Le marché est entré dans une phase du ralentissement qui commence vraiment à causer des ravages. Les annulations de projets s’accumulent, les mises en chantier s’effondrent, des emplois disparaissent, des acheteurs perdent beaucoup d’argent et les promoteurs ont de la misère à conclure leurs transactions. »
Une partie de ce « chaos », selon CTV, c’est l’annulation de nouvelles mises en chantier. Oui, la perte d’emplois dans la construction et l’abandon de projets, c’est bien réel. Mais ce que CTV oublie commodément de dire, c’est que ces projets annulés ne concernaient pas du logement vraiment abordable. On parle ici de condos de luxe faits pour la spéculation, pure conséquence de la financiarisation du logement.
Enfin, The Globe and Mail a publié un article affirmant que la baisse des loyers serait attribuable aux plafonds sur l’immigration imposés par le gouvernement Trudeau en 2024. Moins de demande, loyers un brin moins chers, dit-on. Mais malgré ça, les loyers restent élevés. Les médias dominants adorent tracer un lien direct entre coût des loyers et immigration, mais se gardent bien de souligner le lien entre prix du logement et spéculation menée par les REIT et les grosses institutions financières — des acteurs qui, selon la Commission canadienne des droits de la personne, prennent une « place de plus en plus dominante » dans le secteur. La financiarisation du logement est rendue tellement envahissante que la clinique juridique communautaire d’Algoma a constaté une hausse moyenne des loyers de 20 % à Sault Ste Marie dès que des propriétaires corporatifs se sont mis à acheter des maisons.
Bref, quand ils parlent de la crise, les médias dominants discutent offre et demande, guerre commerciale avec les États-Unis et climat économique… mais jamais de qui profite de la crise, ni de comment la financiarisation a pris le contrôle, et encore moins de comment tout ça affecte le travailleur moyen. Pendant ce temps, on nous gave d’articles sur le « marché des locataires » et sur le sort tragique des financiers qui maintiennent les prix dans les nuages.