Après avoir été forcés par le gouvernement fédéral à voter sur une offre déjà refusée, les travailleurs de Postes Canada ont encore une fois tenu tête à la société d’État et à l’ingérence du gouvernement. Avec 70% des votes contre la plus récente « offre finale » de l’entreprise, le STTP et Postes Canada s’apprêtent maintenant à entamer une nouvelle ronde de négociations. L’Étoile du Nord a parlé à des travailleurs pour connaître leur opinion sur le rejet et sur la suite des choses.
« Rejeter, c’était la bonne chose à faire », affirme David Tsinovoy, employé à l’entretien chez Postes Canada à Mississauga. « C’est un petit pas pour réaffirmer, pour se battre pour notre droit à la négociation collective, un droit qui nous a été volé par le gouvernement. »
Pour Pierre Wilson, facteur à Montréal, l’offre n’était « que des reculs, beaucoup de reculs voilés. La Société canadienne des postes a beaucoup misé sur le fait que ça fait un an et demi qu’on est en conflit de travail et qu’il n’y a pas eu beaucoup de négociation de leur côté. Chaque fois qu’on lisait quelque chose, on voyait qu’il y avait des petits pièges. Ils veulent intervenir dans l’attribution des itinéraires pour les facteurs et c’était clair que c’était pour instaurer du gig-work. L’offre, en tout cas, ne répondait à aucune des demandes des membres. »
Wilson estime que « c’est comme si la ministre attendait qu’il y ait un autre conflit de travail avant de déclarer un arbitrage ».
Selon Tsinovoy, l’ombre des ordres de retour au travail plane déjà sur ce rejet: « Ce qui va se passer maintenant, c’est qu’on retourne à la table avec l’employeur. Mais vous savez, cet employeur-là, il a montré, avec des décennies d’expérience en négociation, qu’il ne négocie pas de bonne foi. »
« À mon avis, si on revient à la table avec le même modus operandi que d’habitude, en pensant qu’on peut juste négocier un deal, sans reconnaître que l’employeur lâche le gouvernement contre nous pour avoir un deal qui lui fait plaisir, on va juste se retrouver dans la même situation qui nous a menés ici. »
En 2024, le gouvernement fédéral a imposé un retour au travail à trois reprises: d’abord pour la grève des cheminots du CN et du CPKC, ensuite pour les grèves des débardeurs à Vancouver, Montréal et Québec, et enfin pour les postiers. Le pouvoir de briser les grèves est inscrit aux articles 107 et 108 du Code canadien du travail.

« Il y a un certain élément de fierté rattaché [au refus de l’offre patronale] », dit-il. « Le STTP a une grande histoire derrière lui. On a fait de grandes avancées qui ont permis de gagner tellement de choses pour tous les Canadiens. Ça aurait été un peu une honte d’être le premier syndicat à se faire imposer un vote forcé et de remettre en cause la légitimité de notre syndicat. »
Le STTP a un historique de victoires pour les travailleurs partout au pays. Sa toute première grève, en 1965—une grève sauvage illégale—a été le plus grand arrêt de travail illégal chez des employés du gouvernement, et a permis de gagner le droit à la négociation collective pour tout le secteur public.
Le syndicat a déjà défié un ordre de retour au travail, en 1978, en restant sur les lignes de piquetage une semaine de plus, après que la grève ait été déclarée illégale. En 1981, il a été le premier syndicat à obtenir le congé de maternité payé pour les employées du secteur public.
Pour Tsinovoy et Wilson, le rejet de l’offre vient de hausses salariales dérisoires qui suivent à peine l’inflation et de la volonté de précariser le travail. De plus, durant la pandémie, le STTP avait reporté la négociation pendant deux ans pour éviter des perturbations, avec la promesse de Postes Canada d’augmenter les salaires pour compenser.
« Depuis 2011, sous les conservateurs, à chaque convention, on perd, que ce soit sur les salaires, les conditions de travail, etc. Cette fois-ci, il y avait vraiment l’idée de garder le statu quo ou de faire des gains », explique Wilson. « Malheureusement, ça fait un an que ça dure et la compagnie s’acharne à imposer des reculs. [Postes Canada] veut créer des postes temporaires permanents. Du côté du syndicat, on ne veut pas créer d’emplois précaires. »
Tsinovoy pense que « la réalité, c’est qu’il faut être audacieux et prêts à défier [les ordres de retour au travail] pour montrer à la compagnie qu’on ne se fera pas intimider par leurs manigances avec le gouvernement. Faut reconnaître que notre seul levier en négo, c’est notre capacité de retirer collectivement notre travail. Si on s’en sert pas, on va continuer la même spirale de reculs et de contrats de moins en moins bons. »
Postes Canada dit faire face à la concurrence des messageries privées et à la baisse du courrier papier, et s’en sert pour justifier des hausses salariales limitées et des suppressions de postes. Elle invoque régulièrement un fort « déficit », tout en rejetant les solutions mises de l’avant par les travailleurs dans la campagne Vers des collectivités durables.
Alors que les dirigeants cherchent comment concurrencer les courriers privés, Wilson déplore: « C’est dommage qu’on ait toute l’infrastructure au Canada et... Tu sais, il y a un bureau de poste dans presque chaque village et ce service public-là est très peu utilisé. Je pense qu’il manque juste un peu de vision à celui qui détient les clés de l’entreprise. Il y a tellement de possibilités pour diversifier les services, aller chercher des revenus et rendre ça rentable. Il faut garder en tête que c’est un service public pour les Canadiens et Canadiennes. »