Environ 10 000 agents de bord d’Air Canada, en grève depuis samedi, ont défié hier l’ordre de retour au travail imposé par Ottawa. « Ils veulent que je vous dise de renoncer », a lancé hier matin le président du SCFP, avant de déchirer l’ordre sous les acclamations de la foule. « Ça n’arrivera pas! Pas aujourd’hui, pas demain, jamais! La grève se terminera seulement quand nos membres auront un contrat de travail digne de ce nom! »
Après avoir d’abord annoncé une reprise des vols pour la fin de journée dimanche, Air Canada a reculé. La compagnie a déclaré suspendre « ses plans de reprise des activités après que le SCFP a illégalement ordonné à ses membres de défier la directive de retour au travail ».
Les dirigeants des grandes centrales syndicales du pays, réunis hier, ont dénoncé une « attaque inconstitutionnelle » et exigé l’abolition de l’article 107 du Code du travail, utilisé pour forcer le retour au travail. Les syndicats promettent une campagne de riposte avec du soutien financier, des recours juridiques et de la mobilisation si le gouvernement persiste.

Patronat et gouvernement main dans la main
Le 13 août, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) avait annoncé son intention de déclencher une grève, après avoir rejeté ce qu’il dénonçait comme une réduction de salaire déguisée et le maintien de nombreuses heures de travail non rémunérées. Air Canada avait aussitôt riposté par un avis de lock-out.
Dès la fin de la journée samedi, Ottawa indiquait avoir saisi le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), lui demandant de mettre fin à la grève et de nommer un arbitre chargé d’imposer un contrat de travail.
Pour se justifier, la ministre fédérale Patty Hajdu a invoqué des « risques économiques » dans le contexte des tarifs douaniers américains. Elle était appuyée de Matthew Holmes, chef des politiques publiques d’un des représentants majeure de la classe patronale canadienne, la Chambre de commerce du Canada. Celui-ci a salué une « bonne décision ».
Selon Ottawa, l’arrêt du transport de passagers et de certaines « cargaisons critiques » aurait un impact trop lourd pour laisser la grève se poursuivre. Mais pour Henly Larden, président intérimaire et vice-président élu du SCFP 4094, qui représente 2 400 travailleurs à l’aéroport de Vancouver, l’argument est bancal:
« Si le gouvernement refuse d’entendre les appels des travailleurs sur le travail non rémunéré et les salaires de misère, alors Air Canada doit en assumer les conséquences et faire face à la musique. »

Salaire bas et heures non payés
Comme d’autres travailleurs du secteur aérien, les agents de bord ne sont pas payés lorsqu’ils sont sur le tarmac ou dans l’aéroport. En moyenne, cela représente 35 heures de travail gratuit par semaine.
« Le salaire moyen d’un agent de bord d’Air Canada Rouge au premier échelon, c’est 1 952$ par mois avant impôts », explique une porte-parole du SCFP, elle-même ancienne agente de bord.
« C’est un salaire sous le seuil de la pauvreté, » poursuit-elle. « Le syndicat a dû ouvrir des banques alimentaires dans ses bureaux. Certains agents dorment dans leur voiture. D’autres vivent à six ou sept dans un quatre et demi, incapables de se payer une simple colocation. »
Elle ajoute 40 % des agents de bord ont cinq ans ou moins d’ancienneté, et une large part des employés d’Air Canada gagnent moins de 30 000$ par année.
Des conditions qui tranchent avec le discours de la compagnie, qui affirme dans les médias que « le SCFP demande des augmentations insoutenables » et qu’Air Canada « ne réclame aucune concession ».

Un premier défi à l’article 107
C’est la cinquième fois en deux ans qu’Ottawa invoque l’article 107 du Code du travail pour briser une grève majeure. Mais c’est la première fois que cet ordre de retour au travail est ouvertement défié. Ce geste rappelle le front commun de 1972 au Québec, lequel avait mené à des avancées importantes dans les conditions de travail et de vie de la population.
Gilles Levasseur, professeur de gestion et de droit à l’Université d’Ottawa, explique la suite des choses: “Le CCRI pourrait imposer des amendes aux syndicats, aux employés, et même à Air Canada, s'ils ne respectent pas l'ordonnance.”
“Donc, ce que fait Air Canada [ce matin], c’est qu’elle se présente devant la cour fédérale à 8h30, elle demande l'homologation de la décision de la cour fédérale, pour être capable de le rendre exécutoire. Ça peut permettre de faire une saisie, par exemple, des revenus du syndicat pour payer l'amende. Ils peuvent même imposer un emprisonnement aux dirigeants pour avoir défié un ordre de la cour.”
Mais la porte-parole du SCFP s’y attend. “Comme notre président l'a dit, lui, il n'a aucun problème avec les amendes et à se faire arrêter.”
"Les agents de bord sont tannés de vivre avec des salaires de misère,” ajoute-t-elle. “Ils veulent être payés pour toutes leurs heures travaillées, peu importe l'ancienneté. Ils veulent que ça se règle, bien sûr, mais ils ne veulent pas se faire imposer des conditions de travail, ils veulent pouvoir voter, que ce soit négocié. Mais ils sont très très très mobilisés et engagés."