L'Étoile du Nord

Une grève inachevée

Entre unité et tensions, les agents de bord d’Air Canada continuent le combat

« Le travail non rémunéré n’est pas terminé, et on ne se reposera pas tant que ça va rester comme ça, » a lancé hier Wesley Lesosky, président de la section transport aérien du SCFP, devant plus de 150 personnes. Les agents de bord d’Air Canada étaient réunis sur la Colline parlementaire à Ottawa pour dénoncer l’inaction du gouvernement face à leurs milliers d’heures non payées chaque année.

« Voici ce qui est clair, » poursuit Lesosky sous l’ovation de la foule. « Le gouvernement fédéral doit arrêter de faire front commun avec des transporteurs milliardaires pour écraser nos salaires et maintenir les agents de bord sous le seuil de pauvreté. »

À noter que la déclaration de Lesosky sur le travail non rémunéré contredit celle du 19 août de la direction du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). À l’époque, elle affirmait que l’entente de principe avec Air Canada, tout juste annoncée, mettait « fin au travail non payé ». Quelques jours plus tard, la phrase a disparu du site du syndicat, sans explication publique.

En réalité, l’entente proposée aux agents de bord prévoyait un paiement forfaitaire de 60 à 70 minutes à 50% du salaire, avant chaque vol. Elle a été rejetée à 99,1% par les syndiqués, qui voulaient une rémunération complète de leur travail. Cela a contraint leur direction à poursuivre la pression et à remobiliser leurs membres hier à Ottawa, demandant au fédéral d’intervenir.

En attendant, les détails des salaires du nouveau contrat de travail seront décidés par un arbitrage exécutoire dans les prochains mois.

Une foule qui en veut plus

L’Étoile du Nord a parlé à plusieurs agents de bord, sous couvert d’anonymat. La plupart ont exprimé leur frustration de ne pas avoir été consultés avant de décider de mettre fin de la grève.

Ceux-ci avaient défié l’ordre de retour au travail du gouvernement Carney, risquant de lourdes amendes. Prêts à se battre jusqu’au bout, ils disent se sentir utilisés par leur direction, qui avait promis de ne pas céder… avant de voir leur comité de négociation signer une entente trois jours après le début de la grève.

Malgré tout, la foule semblait enthousiaste et motivée.

Plusieurs personnalités ont pris la parole pour interpeller le gouvernement fédéral, sans nécessairement évoquer de nouvelles grèves, ni même de nouvelles mobilisations. Parmi elles: la présidente du Congrès du travail du Canada, celle de la Fédération du travail de l’Ontario, le député NPD Alexandre Boulerice et la présidente du local d’Air Canada à Montréal.

De son côté, Alia Hussein, représentante des agents de bord de WestJet, a annoncé que ces derniers entameront bientôt des négociations pour un nouveau contrat. « L’industrie aérienne s’appuie depuis trop longtemps sur des heures non payées, en s’attendant à ce que les agents de bord acceptent ça comme la norme », s’est indignée Hussein au micro.

En effet, depuis les débuts de l’aviation, les agents de bord ne sont payés que pour leurs heures de vol, effectuant environ 35 heures de travail gratuit par mois avant le décollage et après l’atterrissage. Ces travailleurs, essentiels à la sécurité en vol, touchent souvent moins de 2 000$ par mois en début de carrière, malgré les milliards de profits des compagnies aériennes.

Le 2 septembre, un avion d’Air Canada à Denver avait d’ailleurs été évacué suite à une odeur de brûlé électrique. Les agents de bord ayant coordonné l’évacuation l’ont fait bénévolement, puisqu’ils n’étaient pas encore payés.

Le NPD s’en mêle

À l’opposé du combat de terrain annoncé par Hussein, le chef par intérim du NPD, Don Davies, a déclaré qu’il déposerait un projet de loi pour abolir l’article 107 du Code du travail canadien et pour interdire le travail non payé dans l’aviation. L’article 107 est celui qui permet au gouvernement d’interrompre des grèves fédérales presque à sa guise. 

Don Davies et Alexandre Boulerice

Mais dans sa volonté de se présenter en défenseur des agents de bord, le politicien de carrière s’est vite enlisé: il a lui-même déjà négocié, en 2003, les concessions les plus douloureuses de leur histoire.

Entre son passage au NPD albertain dans les années '80 et son élection fédérale en 2008, Davies travaillait comme directeur des services juridiques pour Teamsters Canada. En 2003, le syndicat représentait les agents de bord et le service à la clientèle de Jazz, filiale régionale d’Air Canada. À l’époque, le transporteur frôlait la faillite après avoir surpayé pour racheter un concurrent en difficulté. Quelques mois plus tard, Air Canada se plaçait sous la protection de ses créanciers, laissant salariés et syndicat gérer les retombées.

« J’ai traversé, comme vous, le processus de restructuration financière », a-t-il lancé devant la foule. Celui-ci a ensuite salué le « sacrifice » des agents de bord qui, sous pression du gouvernement, de la Deutsche Bank (un nouvel investisseur) et de leur propre direction syndicale, avaient accepté une réduction drastique de leurs conditions pour « sauver la compagnie ».

Or, L’Étoile du Nord a confirmé directement auprès de Davies qu’il était bel et bien l’un des négociateurs pour Jazz en 2003. Les conventions signées par les représentants syndicaux de l’époque, cédant aux menaces de faillite d’une compagnie qui s’était tirée dans le pied avec son acquisition, ont provoqué un recul massif dans l’industrie. Les salaires ont baissé de 14 %, des milliers de travailleurs ont été mis à pied, et plusieurs années de stagnation salariale ont suivi.

Un discours controversé

En clôture du rassemblement, le président national du SCFP, Mark Hancock, a déclaré: « Même si on n’a pas éliminé tout le travail non rémunéré, on a sacré coup de pied dans cette porte […] grâce à vous tous, qui avez marché sur ces lignes de piquetage. »

Hancock avait fait sensation le 17 août en affirmant qu’il était prêt à aller en prison pou combattre le travail non payé et l’article 107. Il avait ensuite déchiré l’ordre de retour au travail lors d’un discours qui avait enflammé la foule.

À Ottawa hier, Hancock a récidivé. « Si n’importe quel gouvernement à travers le pays tente de faire passer une loi comme l'article 107, j’ai un message pour eux », a-t-il lancé avant de redéchirer l’ordre de retour au travail des agents de bord d’Air Canada.

À la fin de l’événement, une dizaine d’agents de bord se sont approchés de Hancock. Des travailleuses ont exprimé leur frustration de ne pas avoir pu voter avant la fin de la grève, ajoutant que tout leur pouvoir avait disparu dès qu’ils étaient retournés travailler.

Mark Hancock, entouré des travailleurs

Pris de court, Hancock répond: « C’est comme ça que les négociations normales se passent, et… bon, c’était pas exactement une négociation normale mais… en tout cas, une fois que t’as une entente de principe, tu retournes généralement au travail. » Une travailleuse rétorque qu’ils auraient pu voter avant de retourner travailler, puisque la grève était déjà illégale. « Ça faisait partie de l’entente de principe », répond-il simplement.

La discussion, qui a duré plus de cinq minutes, a été marquée par la frustration des agents de bord face aux promesses non tenues de la direction. Hancock et quelques représentants syndicaux leur ont conseillé de s’adresser au comité de négociation pour obtenir plus d’informations, mais plusieurs semblaient insatisfaits des réponses reçues.

Malgré toute sa frustration, un agent de bord conclut: « comprenez-moi bien, on sait qui est le véritable ennemi », en pointant le parlement cana,dien.

Les agents de bord interrogés par L’Étoile du Nord confirment leur détermination à se battre contre le gouvernement. Malgré les tensions avec le syndicat, ils ne sont pas prêts à abandonner et multiplient les discussions entre eux.

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