Le meurtre récent de cinq journalistes par Israël, diffusé en direct, a ravivé l’indignation face au biais pro-Israël des médias détenus par des oligarques canadiens. Ces grands médias sont critiqués pour une couverture qui a facilité la campagne d’extermination de journalistes la plus étendue jamais enregistrée.
Depuis octobre 2023, le Syndicat des journalistes palestiniens a documenté la mort de 247 journalistes et travailleurs des médias à Gaza, et d’un autre en Cisjordanie. Août 2025 a été le mois le plus meurtrier, avec 15 victimes.
Un rapport du Costs of War Project de l’université Brown a calculé que l’offensive d’Israël sur Gaza « a tué plus de journalistes que la guerre civile américaine, les Première et Seconde Guerres mondiales, la guerre de Corée, la guerre du Vietnam (y compris les conflits au Cambodge et au Laos), les guerres en Yougoslavie dans les années 1990 et 2000, et la guerre post-2001 en Afghanistan, cumulées. » Pourtant, les médias traditionnels en rendent à peine compte.
Ceux-ci ont été la cible de manifestations d’activistes et d’anciens employés. Ils les accusent d’avoir facilité la campagne de massacres menée par Israël depuis 23 mois contre les civils et journalistes palestiniens.
Une de ces manifestations, un sit-in de la Canada Palestine Association (CPA), a eu lieu devant le CBC de Vancouver le 20 août. La semaine suivante, Nadia, porte-parole de la CPA, confiait à L’Étoile du Nord qu’elle était « furieuse, mais pas surprise » par l’attaque du 25 août, qui a tué 22 personnes, dont cinq journalistes.
« Israël a longtemps martyrisé les journalistes palestiniens », rappelle Nadia, évoquant l’assassinat ciblé en 2022 de la journaliste palestinienne renommée Shireen Abu Akleh. Selon elle, Israël compte sur le silence des travailleurs des médias palestiniens, dont le travail dénonce des mensonges utilisés pour éviter toute responsabilité.

Elle ajoute que la mort de plus de 240 journalistes pendant le génocide est largement ignorée par les médias traditionnels « parce que l’on parle de médias d’État impérialistes, qui ne sont pas—et ne seront jamais—intéressés à dire la vérité. Tout au long de leur histoire, ils se sont directement opposés aux intérêts des masses dans le monde entier. »
« Reconnaître ne serait-ce qu’un minimum que les journalistes palestiniens subissent une attaque systématique poserait des questions comme: ‘Pourquoi?’, ‘Dans quel but?’, ‘Comment?’ Ce sont des questions auxquelles ceux qui détiennent le pouvoir ne veulent pas répondre. »
Des journalistes canadiens s’organisent
Des révélations d’anciens employés de grands groupes médiatiques canadiens ont mis au jour de graves manquements. Certains se sont rassemblés pour créer l’organisation Canadian Journalists for Justice in Palestine (CJJP).
Dans une déclaration du 14 août, après la mort de cinq autres journalistes, dont le correspondant d’Al Jazeera Anas Al-Sharif, le CJJP affirmait: « Le Canada se présente comme un défenseur farouche de la liberté de presse et des droits humains. Mais cette affirmation sonne creuse quand notre gouvernement refuse de condamner ces atrocités en termes clairs, et continue d’entretenir une coopération militaire et économique avec l’État responsable. »
Lors de la conférence de presse de lancement du CJJP à Vancouver le 25 juin, Sharon Nadeem avait déclaré que l’industrie médiatique « a refusé de dénoncer correctement les atrocités commises par Israël, y compris celles contre des collègues journalistes. » Elle a ajouté que ceux qui dénoncent ces pratiques sont souvent « ostracisés, réduits au silence et pénalisés » dans les grandes salles de rédaction canadiennes.

Biais des médias privés et « publics »
Les monopoles médiatiques privés sont parmi les plus flagrants. Des producteurs et rédacteurs de Bell Media (le conglomérat milliardaire derrière CTV) auraient découragé la couverture des manifestations réclamant un cessez-le-feu et bloqué des articles incluant le contexte du siège de 17 ans de Gaza, de l’occupation de 76 ans et du régime d’apartheid.
Le National Post, appartenant au réseau Postmedia détenu par le fonds américain Chatham Asset Management, est le plus ouvertement pro-Israël des grands journaux nationaux. Une analyse de 197 dépêches montre que le média éditait systématiquement les articles pour favoriser les récits israéliens en ajoutant ou supprimant certains termes et faits.
La CBC, bien que « publique », suit une ligne similaire à ses homologues privés. Comme l’avait rapporté L’Étoile du Nord dans son analyse de la couverture de la grève de la poste en 2024, la CBC prend régulièrement le parti de l’élite canadienne et de ses alliés, reflétant la politique du Premier ministre et banquier Mark Carney. Molly Schumann, ancienne productrice, raconte que « le sujet Israël-Palestine devait être évité autant que possible » à la CBC, car il était « censé être présenté de manière à occulter l’histoire et à assainir la réalité contemporaine. »
La goutte d’eau qui fait déborder le vase
La confiance dans les médias traditionnels a chuté de près de 20% depuis 2018, alors que les grands groupes se concentrent entre moins de mains et que leurs rédactions s’éloignent du quotidien des travailleurs.
Les grèves et actions au travail, comme celles de la poste ou des agents de bord d’Air Canada, sont souvent mal représentées. La couverture du conflit à Gaza avec une perspective pro-Israël accentue ce décalage.
Samira Mohyeddin, ancienne productrice à la CBC et aujourd’hui rédactrice en chef d’un média indépendant, conclut: « Les médias traditionnels n’ont presque plus de crédibilité, car les gens voient ce qui se passe de leurs propres yeux, et cela contraste avec ce qu’on leur présente dans les nouvelles. »