L'Étoile du Nord

Pompiers et évacués sonnent l’alarme

Le sous-financement plonge le Manitoba dans le chaos des feux

Cet été, le nord du Manitoba a été ravagé par les pires feux de forêt qu'il ait connus depuis plus de 30 ans. Des dizaines de milliers de personnes ont été contraintes d'évacuer leurs communautés, tandis que les pompiers forestiers étaient dispersés dans un effort désespéré pour contenir les flammes. Ces difficultés ont été aggravées par des années de compressions et par l’absence d’investissements suffisants pour renforcer les capacités d’intervention. 

Les données récentes confirment la hausse des risques liés aux feux de forêt. Or, depuis plus de quinze ans, les gouvernements provinciaux successifs ont fait stagner les investissements dans les les services de prévention et de lutte.

 « En 2009, selon nos chiffres, nous comptions environ 260 ou 259 pompiers... En 2024, leur nombre était tombé à 196. Ils ont légèrement augmenté cette année pour atteindre 235, mais ça reste inférieur [à 2009], et les incendies ne font qu'empirer », explique Kyle Ross, président du Syndicat des employés du gouvernement du Manitoba, qui représente les pompiers forestiers. 

« Le gouvernement précédent avait choisi de ne pas engager de nouvelles recrues pour remplacer ceux qui quittaient le service », explique-t-il. « On peut perdre un élément clé ou un décideur qui part, et lorsqu’on ne pourvoit pas ce poste, on se retrouve avec des gens qui essaient juste de maintenir le statu quo et de faire de leur mieux. »

Le problème, souligne Ross, est que les nouvelles technologies ne rendent pas la lutte contre les incendies beaucoup plus efficace. La stagnation des chiffres de l'emploi indique une stagnation des capacités. « La lutte contre les incendies de forêt repose sur la main-d'œuvre. On a des bombardiers à eau et des outils comme ça, mais l'essentiel du travail se fait au sol [...] avec une hache, une pelle, une conduite d'eau, une pompe. C'est pas un travail mécanique. C'est un travail manuel. »

Alors, dans quelles conditions ces 235 pompiers forestiers ont-ils dû intervenir, face à des incendies qui ont ravagé 1,5 million d’hectares et recouvert la région de fumée pendant des mois, de mai à août?

Ross raconte avoir fait « des heures impossibles, à passer son temps partout dans le bois pour essayer de prévenir les feux ». Il explique que le cycle de travail, c’est « 20 jours sur le terrain, ensuite quatre jours de congé, puis encore 20 jours sur le terrain. Pendant ces quatre jours-là, tu peux pas être dans une zone de feu, mais tu peux quand même travailler. Il y en a qui enchaînent 44 jours de suite avant d’être finalement obligés de prendre quatre jours de congé ».

« [Investir dans le service de lutte contre les feux], c’est au bénéfice de tous les Manitobains, pas seulement du syndicat ou de ces travailleurs. C’est important d’avoir un service capable de prévenir des situations comme celles qu’on a connues dans l’est du Manitoba, où des chalets et des maisons ont été perdus, et à Flin Flon, où des maisons ont aussi brûlé. Ça prend un service de lutte contre les feux bien équipé pour éviter que ça se reproduise. » 

L'Étoile du Nord s'est aussi entretenu avec des évacués de la Première Nation de Garden Hill qui ont trouvé refuge à Winnipeg fin juin. Standing Bear, un agent de sécurité qui avait été évacué une semaine plus tôt, a décrit le caractère chaotique du processus d'évacuation.

« Les policiers sont venus cogner à ma porte en disant: “Faut que tu partes tout de suite.” Ils m’ont dit que le feu était juste en bas de la route et, en regardant au bout de mon entrée, c’était rendu dans mon quartier. On voyait les flammes. J’ai pas eu le temps de prendre nos cartes d’identité ni de chercher quoi que ce soit. Tout ce qui m’inquiétait, c’était d’avoir des couches et du lait pour mon petit. J’avais juste les enfants en tête », se souvient-il.

« J’ai jamais vu un conseiller ou qui que ce soit de chez nous venir ici. Tu sais, une vraie mise à jour », déplore Standing Bear en parlant des communications. « Je m’inquiète pour les gens qui ont besoin de soutien concret au moment où on en a le plus besoin, parce qu’il y a beaucoup de monde qui a de la misère ici. Donnez-nous au moins une bonne nouvelle. Donnez-nous un peu de tranquillité d’esprit. » 

Dana, une autre résidente de Garden Hill, a décrit le chaos dans les refuges d’évacuation: « Il y a absolument aucune intimité. Même si on met une couverture sur nous pour dormir, on se fait dire de pas faire ça. Et c’est pas juste ici. On a aussi été au centre de l’Université de Winnipeg puis au RBC Convention Centre. Il y a plus de place dans les hôtels, ils sont tous pleins. Pis les repas sont pas couverts, alors tu finis par échanger tes repas contre un peu d’intimité. »

Bien que le plus gros de la crise soit passé, les Manitobains se demandent si quelque chose changera d'ici à la saison des feux de forêt de l'année prochaine. L’Étoile du Nord a demandé à Kyle Ross ce qui doit être fait pour que la province soit prête à faire face aux feux de forêt à l'avenir.

« On veut voir un investissement dans le service, que ce soit dans l’équipement, dans le personnel ou dans la formation, pour s’assurer que ces travailleurs puissent faire leur travail en sécurité et qu’ils aient du soutien. On veut vraiment un plan bien réfléchi pour que, si on revit une autre saison des feux comme celle-ci, on soit prêts. »

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