L'Étoile du Nord

Grève générale à Postes Canada

Partout au pays, L’Étoile du Nord donne la parole aux postiers en grève

Les 55 000 travailleurs de Postes Canada sont entrés en grève à l’échelle du pays le 25 septembre 2025. Ils protestent les réformes massives proposées par le gouvernement fédéral, que le syndicat juge une attaque aux emplois des postiers et aux services essentiels. L’Étoile du Nord a visité des piquets de grève partout au pays pour parler avec les postiers.

« En réponse à l’attaque du gouvernement contre le service postal et les travailleuses et travailleurs, tous les membres du STTP qui travaillent à Postes Canada sont dès maintenant en grève à l’échelle nationale », a déclaré la présidente du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP). L’annonce est tombée quelques heures après que la direction régionale du syndicat dans les Maritimes ait déclenché une grève locale, rapidement suivie par d’autres régions, forçant la direction nationale à agir.

La grève répond directement à l’annonce du ministre responsable du service postal, Joël Lightbound, qui a confirmé en mai dernier que Postes Canada allait appliquer les recommandations de la Commission d’enquête indépendante dirigée par William Kaplan pour prévenir « l’insolvabilité ».

Ces réformes comprennent la conversion de 4 millions d’adresses en boîtes postales communautaires, ce qui mettrait fin à la livraison à domicile pour des millions de foyers. Elles incluent aussi la fermeture de milliers de bureaux ruraux, la réduction du service à moins de cinq jours par semaine et la possibilité d’augmenter plus souvent le prix du timbre. En plus des coupes de service, tout ça mènerait à des pertes d’emplois considérables.

Les travailleurs interrogés par L’Étoile du Nord ont qualifié les réformes du gouvernement d’« antidémocratiques » et d’« attaque directe » contre les services postaux universels. « On essayait de travailler correctement avec eux, » se désole Chris Mackling, de Winnipeg. « Maintenant, les choses nous sont imposées par les conclusions d’une seule personne. C’est très frustrant. On doit faire partie de ce processus. »

Sur une ligne de piquetage à Halifax, Dwayne Corner, président de la section locale de la Nouvelle-Écosse, s’indigne: « Le rapport Kaplan va vider la société de sa substance et détruire nos droits, nos protections et nos emplois. Ça va nuire aux communautés qu’on dessert. Et si jamais ils coupent la livraison à domicile, seuls les grands centres comme Montréal et Toronto vont survivre. »

Halifax.

À 1300 km de là, près de Kingston, L’Étoile du Nord a rencontré Mike Videca, un facteur rural suburbain. Pour lui, remplacer la livraison à domicile par des boîtes communautaires et fermer des bureaux ruraux frappera de plein fouet les plus vulnérables.

« Dans les campagnes, il y a beaucoup de personnes âgées qui n’ont pas d’internet et ne peuvent pas payer leurs factures en ligne. Leur seul moyen, c’est le courrier. Les boîtes communautaires, c’est jamais proche des maisons. Ça peut être 20 minutes de route pour aller chercher son courrier. C’est pas efficace. »

Les travailleurs craignent que si les résidents ruraux doivent se déplacer davantage, plusieurs se tournent vers des compagnies privées, ce qui ferait perdre à Postes Canada des clients et des revenus. En même temps, fermer des bureaux ruraux tout en forçant des employés à se rendre en ville pour ensuite desservir les campagnes entraînerait plus de déplacements, plus de remboursements au kilomètre et des coûts encore plus élevés pour la société.

Les postiers dénoncent une gestion patronale ratée

Partout au pays, les postiers disent qu’ils paient pour la mauvaise gestion de Postes Canada, alors que les cadres supérieurs s’octroient des primes année après année. Ils demandent pourquoi le PDG, Doug Ettinger, qui accumule les déficits depuis six ans, n’a pas été remplacé par le gouvernement.

« Personne ne questionne la façon dont il travaille. On dit: “On va couper les services publics, on va réformer pour que Postes Canada fasse des profits.” Mais est-ce qu’on peut voir comment Postes Canada est gérée avant d’aller directement couper où est-ce que le petit peuple, nous, on travaille? » demande Stephania Mossignac, déléguée syndicale rencontrée à Montréal. « Une fois de plus, le gouvernement nous niaise. Une fois de plus, [c’est les travailleurs qui sont] le dernier maillon de la chaîne. C’est nous autres qui allons payer pour les erreurs qui se font par quelqu’un qui a payé 648 000$ par année depuis 2019. »

À Kingston, Tim Burns, facteur depuis 20 ans, parle d’une « crise fabriquée ». « Après la COVID, ils ont fait une orgie de dépenses. 750 millions pour une nouvelle usine, nouveaux véhicules urbains, nouveaux véhicules ruraux, nouveaux sites de tri partout au pays, nouveaux scanneurs. Dépenser, dépenser, dépenser… et là soudainement: “On est cassés!” » Burns affirme que Postes Canada a mis de côté un milliard pour une nouvelle flotte de camions urbains qui n’ont jamais été achetés. Et que 7000 camions pour les zones rurales dorment inutilisés.

Les postiers disent aussi ne pas faire confiance aux grands médias, qu’ils jugent anti-syndicaux et alignés sur la direction de Postes Canada, le gouvernement et les élites du pays. « C’est nous contre la trinité. Radio-Canada vous dit ce qu’ils veulent que vous sachiez. T’as le gouvernement. T’as Postes Canada. Ils sont tous ensemble », dit Burns.

Montréal.

Des sacrifices pour une cause plus grande

Malgré la colère contre le ministre Lightbound et les annonces du gouvernement, plusieurs postiers rencontrés par L’Étoile du Nord disent être épuisés par deux années de luttes syndicales continues. La décision de repartir en grève n’est pas unanime et cause des tensions internes selon les régions. Et le gouvernement a déjà imposé un retour forcé au travail en novembre dernier en utilisant l’article 107 du Code canadien du travail.

En plus de la pression des négociations, les grévistes vivent avec la perte de salaire, les factures, les hypothèques, et la peur de perdre leur emploi dans une économie déjà fragile.

Mais malgré cette insécurité financière, plusieurs restent unis. Leur lutte, disent-ils, dépasse Postes Canada: elle concerne l’avenir de tous les services publics.

« Je comprends que la situation financière de mes collègues est pas idéale », explique François Kirsh, délégué syndical à Montréal. « On a fait 32 jours de grève récemment. On a beaucoup sacrifié financièrement, c’est vrai. Ça va de pire en pire. L’inflation nous a frappés fort, et elle va encore augmenter l’année prochaine. L’argent qu’ils n’ont pas aujourd’hui, ils vont en avoir encore moins l’an prochain. Mais ça veut aussi dire qu’ils vont en avoir encore moins dans deux ans, si ne fait rien aujourd’hui! »

« Il faut le faire pour combattre pour des idéaux, pour essayer d’améliorer le sort des travailleurs, mais aussi le sort de la société, le sort de la population, des autres travailleurs à travers tout ça. C’est un combat qui dépasse le conflit d’une grève, du conflit d’une entreprise. »

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