Vendredi matin, plus de 75 postiers en grève ont quitté le bureau de poste Chabanel pour rejoindre, au coin Saint-Laurent et Crémazie, des centaines d’employés de la Société de transport de Montréal (STM) également en arrêt de travail. La rencontre, remplie de poignées de mains énergiques et d’accolades, avait pour objectif de montrer l’unité face à l’offensive de privatisation venant de tous les paliers de gouvernement.
« On s'en va rejoindre les gens de la STM parce qu'eux ont compris la même chose que nous: on ne se bat plus pour une convention collective en ce moment. On se bat pour la survie, pure et simple, du service public », dit Guillaume Brodeur, délégué du syndicat des postes (STTP) à Chabanel.
« Le message qu'on veut envoyer aujourd'hui, c'est qu'attaquer une centrale syndicale, attaquer une unité de négociation, c'est les attaquer toutes, » ajoute Pat Bélisle, directeur du Comité d’organisation et information du STTP Montréal.
Les travailleurs de Postes Canada sont en grève depuis jeudi soir, après l’annonce de l’intention du gouvernement de fermer des bureaux en région et d’abolir la livraison porte à porte. Du côté du transport en commun, les syndicats dénoncent la sous-traitance.
« [Les dirigeants] se disent: “On va sauver de l'argent. Ça va coûter 40$ de l’heure au lieu de 42$ avec les avantages sociaux” », explique Brodeur. « Mais ils vont se réveiller dans trois ans, et ça va coûter 120 $ à cause des agences privées. »

Le président du SCFP 1983 (chauffeurs de métro et autobus), Frédéric Therrien, prévient la STM et Québec: « Préparez-vous pour la vague qui s'en vient. Si notre PDG pense nous faire prendre le mur, on va lui faire prendre le champ. »
Il critique la direction de la société de transport, qui parle de « moderniser » la négociation et d’« avoir du courage », mais qui refuse d’exiger au gouvernement le financement nécessaire à son fonctionnement. Rappelons qu’en février, la STM avait aussi annoncé la décision de sous-traiter le service de transport adapté à une entreprise privée.
Couper puis privatiser
Pour les syndicats, la logique est connue: affaiblir le service puis l’offrir au privé. « On coupe les services publics jusqu'à ce qu'ils perdent leur pertinence. Après ça, on dit à la population “Vous voyez, vous payez beaucoup trop cher pour ça. On va couper ces services-là.” », insiste Bélisle. De son côté, Brodeur réitère l’utilité du réseau postal public: « Les gens le réalisent. Ça coûte 70 piastres envoyer une lettre à Hamilton par les compagnies privées. »
Ils accusent Ottawa de ne pas investir et de préparer un transfert vers des entreprises privées. Ils évoquent également la montée d’Intelcom dans le colis et rappellent que celui-ci appartient au frère de Mélanie Joly, une ministre du gouvernement Carney.
« C'est du spin médiatique pour faire croire à la population que Postes Canada, c'est un animal malade qu'il faut achever », dit Brodeur.

Bélisle, lui, parle d’un actif dilapidé: « Au milieu des années 90, il y avait plus de bureaux de poste au Canada qu'il y avait de McDonald's. Aujourd'hui, on doit se faire battre par Wendy's », lance-t-il en riant ironiquement. « Pourquoi ça a tout été vendu? Pour aller louer au privé, pour encore une fois rapporter de l'argent à nos amis de SNC-Lavalin, et cetera. »
Bélisle ajoute que la direction de la société d’État cumule les déficits et continue à se verser des bonus pendant que la négociation piétine. Il juge sévèrement le patron: « Je pense que Doug Ettinger est en train d'écrire un guide de comment tuer complètement une entreprise. C'est incroyable comment son travail ne semble même pas être remis en cause.
Brodeur enchaîne: « L'an dernier, ils disaient être en faillite, et avoir besoin d'un prêt d'un milliard du gouvernement. Deux semaines après, ils se reviraient de bord, et Purolator achetait Livingstone International pour un milliard de dollars. » Purolator appartient à 91% à Postes Canada.
Les syndicalistes soutiennent que les pertes présentées au public découlent d’un plan d’investissements d’un peu plus de quatre milliards en infrastructures et, puis servent d’argument pour justifier des coupes en citant un supposé déficit… de près de quatre milliards depuis l’annonce.
D’où leur crainte d’un scénario préparant une privatisation: « Après ça, c'est un peu difficile de dire que c'est une théorie du complot que de penser que son travail, c'est peut-être justement de nuire à Poste Canada jusqu'à ce qu'il soit suffisamment petit pour pouvoir être privatisé. Ça permettrait de revenir à la bonne vieille recette de privatiser les profits et de socialiser les déficits. »

Le combat continue
Face à tout cela, les postiers sont fatigués. Mais le moral remonte, dit Brodeur: « On était pas mal découragés, vendredi dernier. Encore en grève! C'est tough. Mais moi, ce que j'ai vu, c'est qu'au cours de la semaine, les gens ont recommencé à relever la tête parce qu'on sait que notre cause est juste. C'est pas nous autres les gras durs. Les gras durs, c'est ceux qui sont en train d'organiser le vol du siècle. »
Bélisle conclut en s’adressant aux collègues: « Je vous comprends d’être fatigués, mais quand l'ennemi est aux portes, on n'a pas le choix de se battre jusqu'à ce qu'on ait plus d'énergie. »