Ford et les propriétaires de logement

En Ontario, une manifestation dénonce une loi qui attaque les locataires

Samedi, des centaines de locataires et de membres d’organismes de défense du droit au logement ont défilé au centre-ville de Toronto pour dénoncer vigoureusement le projet de loi 60 du gouvernement provincial.

La manifestation, tenue lors de la Journée nationale de l’habitation, a débuté devant les bureaux de la Federation of Rental-Housing Providers of Ontario (FRPO) avant de se rendre jusqu’au parlement ontarien. Le trajet visait à dénoncer la proximité entre le lobby des propriétaires et le gouvernement Ford.

Cette relation a récemment été illustrée par une note manuscrite adressée au PDG de la FRPO, Tony Irwin, par le ministre des Affaires municipales et du Logement, Rob Flack. Cette note le remerciait pour son support et a été obtenue en exclusivité par L’Étoile du Nord.

La contestation organisée ne cesse de croître contre le projet de loi 60 et contre les lobbys de riches propriétaires qui le soutienne. La semaine dernière, 132 organisations (syndicats, cliniques juridiques et refuges) ont publié une lettre ouverte demandant au gouvernement provincial d’abandonner le projet. Elles y rappellent une critique largement partagée: la loi affaiblirait dangereusement les droits des locataires et mènerait à davantage d’ abusives et d’.

Pour Stacey Semple, du chapitre torontois d’ACORN, ignore systématiquement la voix des locataires. « On demande constamment à Ford de nous rencontrer. Je suis membre depuis deux ans et nous n’avons eu aucune réponse, jamais. Les propriétaires demandent et ça se fait immédiatement. » Selon elle, le projet de loi vise surtout à enrichir Ford et ses alliés, au détriment des locataires.

Le gouvernement Ford a accéléré l’adoption du projet de loi 60 en contournant les consultations publiques et en rejetant les critiques, affirmant que les changements proposés sont nécessaires pour résorber l’arriéré de dossiers et qu’ils seraient bénéfiques pour les locataires.

« Toute cette histoire de retard, c’est du n’importe quoi », affirme Bruno Dobrusin de la York-South Weston Tenant Union, qui représente 2 000 locataires dans 17 immeubles. Il explique: « 90% des dossiers à la Commission de la location immobilière (LTB) viennent des propriétaires, 10% des locataires. Un propriétaire attend trois mois pour une audience, un locataire entre 12 et 18 mois. Alors dès qu’on parle de l’arriéré, c’est juste pour accélérer les évictions. C’est ça, le véritable objectif. »

En effet, les organisateurs soulignent que le projet de loi 60 n’est pas seulement une attaque contre les droits des locataires, mais il vise directement leur capacité à s’organiser. Ses modifications forceront les locataires à payer 50% de leurs arriérés avant même de pouvoir présenter leur cause devant la LTB, une mesure qui limite fortement les grèves de loyers.

Selon Dobrusin, ces grèves ont été essentielles dans les luttes contre les mauvais propriétaires, et ces nouvelles règles cherchent à affaiblir les efforts croissants des associations de locataires. « On voit plus de de la part des propriétaires envers les organisateurs. Ils sont mieux préparés, mais pas de la bonne manière, et pour moi, c’est directement lié », dit-il.

Pourtant, si l’objectif réel du projet de loi 60 et de ses soutiens dans le lobby immobilier est d’étouffer la résistance, il contribue peut-être à la renforcer.

Abram Braithwaite, de Climate Justice Toronto, affirme que l’opposition au projet a resserré les liens et mis en évidence la force de l’organisation collective. « Plusieurs associations de locataires et immeubles se connectent maintenant à des groupes plus larges. Il y en a à Parkdale, North York, Scarborough. »

« J’aurais souhaité que ce ne soit pas ces conditions qui nous unissent, mais c’est maintenant ou jamais. Les gens se réveillent parce que le gouvernement, les institutions ne vont pas nous sauver. Il faut se sauver nous-mêmes, et on en est capables. »

Les liens entre organisateurs dépassent désormais le cadre du logement et rejoignent d’autres mouvements pour la justice. Climate Justice Toronto n’est pas un groupe de locataires, mais souligne que les conditions météorologiques extrêmes aggravent lourdement la situation des personnes en situation d’itinérance.

Pour Braithwaite, qu’on parle de crise climatique ou de logement, les mêmes forces s’y trouvent: « des intérêts riches et connectés qui ont détourné notre , qui ont l’oreille du gouvernement et qui poussent des politiques qui les enrichissent au détriment de nos conditions de vie ».

Avec une majorité conservatrice à Queen’s Park, il est probable que le projet de loi 60 soit adopté. Mais la résistance, elle, ne semble pas faiblir. Plusieurs organisateurs rencontrés lors de la marche se disent même encouragés par l’élan de mobilisation collective face à une oppression persistante. Pour eux, le projet de loi 60 n’est qu’un épisode, et la lutte continue.

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