Pourquoi les syndicats québécois haussent-ils le ton contre la CAQ ces derniers temps? Le nouveau projet de loi 3 s’ajoute à une série de réformes qui ont irrité les syndicats. Le texte ajouterait de la bureaucratie à leurs procédures, couperait dans leur financement et limiterait leur participation politique. Pour les syndicats, le gouvernement « s’attaque à la liberté d’association et d’expression » et ils demandent le retrait immédiat du projet de loi.
Les audiences publiques sur le sujet se sont terminées aujourd’hui. Le gouvernement a reçu plusieurs syndicats, mais aussi plusieurs groupes de lobbying du patronat, qui ne sont pas touchés par la loi du tout. Parmi eux, l’Institut économique de Montréal et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Cette dernière, au nom trompeur, regroupe des entreprises de manufactures relativement importantes et de nombreux franchisés d’épicerie et de restaurants.
Éric Gingras, le président de la CSQ, n’en revient pas. « Le Code du travail est pourtant clair quant à l’effet que les employeurs ne peuvent s’immiscer dans les affaires syndicales. Ce projet de loi ne les regarde pas et, franchement, ceux qui ont choisi d’y participer devraient se retirer. »

Malgré toute cette agitation, le projet de loi reste mal compris par beaucoup. Voici, en résumé, les effets qu’il pourrait avoir, et pourquoi les syndicats s’y opposent autant.
Plus de bureaucratie
Le projet de loi 3 ajouterait une importante couche de bureaucratie. Tous les syndicats locaux devraient, chaque année, payer pour des vérifications financières lourdes, alors qu’on ne les impose ni à des associations comparables, ni au gouvernement, ni aux grandes entreprises. Le texte multiplie aussi les votes internes, plus complexes et sur davantage de sujets, en exigeant une foule de documents justificatifs qui ne sont demandés à aucune autre organisation.
Pour quelques grands syndicats déjà très bureaucratisés, ces règles pourraient, sur papier, améliorer un peu la transparence. La critique revient souvent: dans plusieurs accréditations locales, l’information sur les élections ou les négociations circule peu, les services sur le terrain sont limités, et certaines accréditations ont même été obtenues grâce à des ententes avec l’employeur pour écarter un syndicat plus combatif.
Mais une grande partie des syndicats locaux sont petits, gérés par des élus bénévoles qui manquent déjà de temps, surtout dans le privé. Beaucoup redoutent de voir la vie syndicale se réduire à de la paperasse, sans que la loi règle vraiment les problèmes historiques de gros syndicats déjà perçus comme extrêmement bureaucratiques.
Dans ce contexte, les petits syndicats de bonne volonté risquent d’être les premiers étouffés par les nouvelles exigences. Ils seraient « menacés d’étouffement en raison du coût de vérifications comptables qui représentent souvent entre 10% et 25% de leur budget de fonctionnement », précise Nicolas Lapierre, directeur québécois des Métallos.
Le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) va dans le même sens, ajoutant: « Ce projet de loi oblige la multiplication des votes et risque la lassitude démocratique en plus de générer un fardeau administratif disproportionné pour des sommes modestes », souligne Guillaume Bouvrette, président du SPGQ.
« Le gouvernement ne cesse de clamer haut et fort qu’il veut diminuer la bureaucratie de l’État, mais il impose aux syndicats exactement le contraire avec le PL3 », constate Bouvrette.

Des limitations financières et politiques
Sur le plan financier, le projet scinde les cotisations en deux: une part « principale » et une part « facultative ». Seule cette dernière pourrait financer des contestations judiciaires, des campagnes publiques ou des interventions dans des mouvements sociaux et politiques.
Cette cotisation « facultative » devra être approuvée chaque année, selon un budget fixé d’avance. Tout écart par rapport à ce budget pourrait entraîner une amende allant de 5 000$ à 50 000$. Les syndicats dénoncent particulièrement cette mesure, qu’ils estiment incompatible avec la nécessité de répondre rapidement aux mouvements sociaux ou aux imprévus de leur réalité quotidienne.
Selon eux, cette règle réduirait concrètement leur capacité à s’opposer à des lois jugées néfastes pour leurs membres ou à soutenir des travailleurs en conflit. D’autres organisations représentatives, comme la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, n’ont pourtant aucune obligation de ce genre.
La CSN pense que cette division est artificielle. Elle rappelle que les lois définissent les syndicats comme visant « le développement des intérêts économiques, sociaux et éducatifs » de leurs membres. « La Cour suprême du Canada a d’ailleurs reconnu, à plus d’une reprise, la légitimité de l’action politique des syndicats tout comme leur contribution au débat politique et social », ajoute la centrale syndicale.
Le SPGQ doute même que le gouvernement soit capable de répondre à ses propres exigences. Il souligne que lorsqu’une simple modification de cotisation a été demandée au printemps, l’ajustement n’a été appliqué qu’à la fin août, et que des problèmes subsistent encore. Répéter ce processus régulièrement serait, selon lui, un casse-tête disproportionné pour quelques dollars de cotisation facultative.
Contrôle gouvernemental
Finalement, le PL3 renforce l’emprise du gouvernement sur l’organisation interne des syndicats, alors qu’il dicte ce que leurs statuts doivent contenir. Il permettrait aussi à Québec d’imposer des façons de fonctionner aux organisations syndicales si leurs textes internes sont jugés insuffisants.
L’APTS juge que « le syndicalisme doit être pensé par et pour les membres, et non dicté par un gouvernement qui est à la fois juge et partie. »
Le mémoire présenté par la CSN aux audiences publiques ne mâche pas ses mots. La centrale juge que le PL3 « est hypocritement présenté » comme un encadrement des syndicats, alors que ce serait une « frappe planifiée et mesurée » dans un plan graduel de « neutralisation des syndicats ». « L’objectif réel de ce projet de loi est de limiter le plus possible la fonction de contre-pouvoir et la capacité d’action collective », conclut le mémoire présenté par la CSN au sujet du projet de loi 3.
« Pendant que le gouvernement s’acharne sur les travailleuses et les travailleurs, que fait-il pour freiner la hausse de la rémunération des plus riches? » s’insurge la présidente de la CSN, Caroline Senneville. « Que fait-il pour réglementer le lobbyisme des grandes entreprises? Quand va-t-il s’intéresser à la transparence des entreprises privées? Le gouvernement réclame plus de transparence pour les syndicats alors qu’il est embourbé dans les scandales économiques. La CAQ est mal placée pour donner des leçons. »
Jean Boulet, le ministre du Travail, a ouvert la porte à recevoir les commentaires des organisations syndicales sur « la façon d’appliquer » la loi. C’est bien peu pour les syndicats, tandis que plusieurs, dont la présidente de la FTQ Magali Picard, promettent qu’il n’y « aura plus de paix sociale » si le projet de loi est adopté tel quel.
Les grands syndicats du Québec appellent d’ailleurs la population à se mobiliser pour une grande manifestation en opposition aux politiques de la CAQ ce samedi 29 novembre, à 13h30, à la Place du Canada à Montréal.

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