« Des cols bleus détruisent sans préavis un campement toléré », titrait La Presse mardi dernier. Le reportage donnait la version de la Ville, des organismes et des personnes touchées… mais pas celle des cols bleus eux-mêmes. Un angle trompeur, qui identifie les mauvais coupables. L’Étoile du Nord a joint des militants contre les démantèlements et le syndicat des cols bleus pour comprendre ce qui s’est vraiment passé.
Guillaume Dupont-Croteau, du syndicat des cols bleus de Montréal (le local 301 du SCFP), n’en revient pas. « Le démantèlement des campements, c’est un événement qu’on trouve extrêmement déplorable. »
Le 24 novembre en soirée, des employés municipaux ont ramassé et jeté les effets personnels de personnes vivant dans des tentes sur un terrain de la voirie à Montréal-Nord. L’opération n’était pas prévue et a pris tout le monde par surprise. La Ville devait plutôt retirer un autre « amas », discuté à l’avance avec les intervenants, qui se trouvait juste à côté.
Le problème, c’est que l’article de La Presse laissait entendre que la faute revenait aux ouvriers. Christine Black, mairesse de l’arrondissement de Montréal-Nord, a tenu le même discours. Elle a rejeté la responsabilité sur ses employés et annoncé des « activités de sensibilisation » ainsi qu’une enquête.

Mais selon Dupont-Croteau, « c’est un contremaître qui a dit: “ramassez tel amoncellement de biens”, et ils l’ont fait ». La responsabilité revient donc directement à la Ville, dit-il, puisque ce cadre parlait en son nom. Les cols bleus n’interviennent jamais dans ce type de dossier sans directive claire.
« Ce qui a été dépeint par les médias était assez grave », continue-t-il. « Le titre était plus qu’accusateur. La Presse aurait dû nous contacter avant de sortir l’article, ce qui n’a pas été fait. Ça démontre que, malheureusement, certains médias sont beaucoup plus proches du patronat que du peuple ou des syndicats. »
Dès le lendemain, le syndicat a communiqué avec l’organisme qui soutenait ces personnes et a offert de couvrir leurs frais d’hébergement, le temps de trouver une solution plus durable. « À nos yeux, c’est la moindre des choses, » explique le secrétaire-archiviste du SCFP 301.
Un problème majeur de bureaucratie
Dupont-Croteau critique une hiérarchie devenue trop lourde, au point où ceux qui décident « ne connaissent pas le terrain ». Avec la hausse du nombre de cadres, dit-il, ils devraient au moins avoir des directives claires, alors qu’il arrive parfois qu’un gestionnaire « supervise seulement deux personnes ».
Mais « au lieu d’investir dans des services à la population et de s’occuper des problèmes, on crée des postes de gestionnaires et des comités de travail. » Et au lieu de se baser sur les ouvriers et la société civile, qui connaissent leur travail et les enjeux du terrain, les décisions sont prises en haut, sans contexte.
« Le problème de gestion à la Ville de Montréal est partout », affirme le secrétaire-archiviste. Selon lui, les travailleurs sont souvent mis devant le fait accompli, au point de voir « des choses vraiment aberrantes », ce qui nourrit un découragement croissant face aux mauvaises décisions.
Malgré cela, les cols bleus ne veulent pas rester passifs. Ils demandent des procédures claires pour éviter que ce type d’erreur se répète et débattent à l’interne de la position à adopter.
Dupont-Croteau souligne que « certains sont pour, d’autres contre » les démantèlements, mais que ces opérations « n’ont rien d’humain » et peuvent être menées plus ou moins brutalement. Plusieurs craignent qu’en refusant de les faire et en confiant la tâche au privé, la logique de profit pousse à bâcler, ce qui rendrait les interventions encore pires.

De son côté, Léandre Plouffe, organisateur et membre du collectif Refus Local, dit comprendre les contraintes des cols bleus. « La décision [de démanteler] ne vient pas d’eux ». Mais il souhaite une alliance entre ouvriers municipaux et militants, estimant que les démantèlements perpétuent un système qui « bafoue les droits ». Son collectif a d’ailleurs publié une lettre ouverte pour les appeler à se mobiliser.
Selon lui, la plupart des personnes qui se retrouvent à la rue y arrivent parce qu’elles n’arrivent plus à « engraisser leur propriétaire », puis sont criminalisées plutôt qu’aidées. Il accuse « l’État, les grands médias, les patrons et les rentiers » de cibler les plus pauvres pour « nous distraire et nous diviser ».
Plouffe estime que les travailleurs ont « une responsabilité claire ». Refuser de démanteler serait un geste symbolique fort, montrant que « ces façons de faire ne passent plus ». Il insiste toutefois qu’il ne s’agit pas d’agir individuellement, mais de réfléchir ensemble à « comment les cols bleus peuvent s’organiser » pour faire pression et mettre fin à ces opérations.
Enfin, il rappelle que les campements, malgré leurs problèmes, offrent un minimum de stabilité. Les démantèlements détruisent ce qui reste de repères, sans alternatives viables. Faute de places, expulsés le matin et chassés des espaces publics, beaucoup n’ont d’autre refuge, dit-il, que les campements—un lieu où ils trouvent un peu plus de dignité.
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