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Entrevue avec François Saillant

​​​​​​​Construire, mais à quel prix pour les locataires?

Temps de lecture:4 Minute

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Partout au Canada, les différents paliers de gouvernement semblent s'entendre pour dire qu'il faut construire beaucoup de nouveaux logements, et vite. Toutefois, au Québec, la suspension du règlement pour une métropole mixte et l'adoption de la loi sur l'industrie de la construction (Loi 16) qui découlent de cette logique pourraient avoir des retombées négatives pour les locataires, selon plusieurs experts. 

En effet, la construction massive de logements neufs aura certainement un impact à la hausse sur le coût des loyers. Au Québec, les loyers de nouveaux logements ne sont soumis à aucune restriction en termes de hausse dans les 5 années suivant leur arrivée sur le marché, et ce n'est pas un cas isolé au pays.

Au Manitoba, les nouvelles constructions sont exemptes de restriction sur les augmentations pendant 20 ans; en Ontario, le premier bail signé après la construction d'un bâtiment n'est soumis à aucune restriction d'augmentation.

Ce type de règlement tend à envenimer une situation déjà préoccupante. Selon Statistique Canada, en 2021, c'est plus du tiers des ménages locataires au Québec qui consacrent plus de 30% de leur revenu aux frais de logement. Depuis, les loyers ont augmenté d'à peu près 40% dans la province.  

Ainsi, selon François Saillant, ex-porte-parole du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) rejoint par l'Étoile du Nord, la classe politique fait fausse route. 

« Ils disent que si le marché en vient à se détendre, ce qui est loin d'être fait, la crise va se résorber. Mais même si le marché en vient à se détendre, ça ne veut pas dire que les hausses de loyer vont cesser, que le coût du logement va baisser. Pour moi, ce n'est pas ça la solution. »

François Saillant explique qu'il s'est construit beaucoup de logements au cours de la décennie de 2010, et que « c'est là que la hausse des loyers a commencé. La construction avait plutôt comme effet de tirer vers le haut les loyers que de contribuer à ce que les hausses soient moins importantes. »

En effet, une grande part des unités de logements qui ont été construites récemment ou qui seront construites prochainement vise la vente ou la location à des individus aisés ou riches. Des organisations de locataires demandent d'ailleurs un moratoire sur la construction de condos de luxe.

D'autre part, lorsqu'on regarde les grands chantiers de logement prévus au Canada, par exemple dans le Grand-Montréal, on y remarque très peu de place faite au logement hors du marché ou à loyer contrôlé.

Carte du secteur Bridge-Bonaventure, Action Gardien

La ville de Montréal, en partenariat avec la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain, prévoit construire 15 000 nouveaux logements dans le secteur Bridge-Bonaventure d'ici la fin de la décennie. De ces 15 000 logements prévus, impossible de savoir combien seront des unités de logement social ou abordable.

Pour François Saillant, il s'agit de projets immobiliers qui ne répondent pas aux besoins criants de la population. 

Il précise que « dans le cas de Bridge-Bonaventure, il y a eu des consultations populaires qui ont été menées par le regroupement de quartiers Action Gardien, qui a pris le poul de la population sur ce qu'elle voulait comme développement. »

« ​​​​​​​Leur message était: on ne veut pas d'un second Griffintown. Mais c'est ce qui risque d'arriver là. J'ai regardé les plans, ça ressemble beaucoup à un nouveau Griffintown. Donc, on n'a pas été à l'écoute des besoins du quartier. » 

Développement du secteur Bridge-Bonaventure, comité exécutif de la ville de Montréal

Saillant souligne aussi l'absence de solutions proposées pour les villes de région. « Il n'y a pas un centre urbain, à l'heure actuelle, où le taux de logements inoccupés est supérieur à 2%, alors que le taux qualifié d'équilibre, c'est de 3%. »

Pour tenter d'accélérer les constructions, la CAQ propose un ensemble de mesures pour l'industrie, dont imposer davantage de mobilité aux travailleurs pour bâtir plus en région. Sa loi 16 prévoit de permettre à n'importe quel contracteur de déplacer sa main d'œuvre sur l'ensemble du territoire du Québec.

Or, la tâche est tellement importante que Saillant est sceptique quant à l'impact d'une telle mesure. « Je pense que ça n'aura pas d'impact ou que ça aura un impact extrêmement mineur. On a beau déplacer les travailleurs, il manque de logement partout. »

Saillant a également des craintes quant à la qualité des nouvelles constructions suite à l'adoption de la loi 16. 

« J'ai des doutes, sur la qualité à plus long terme des nouveaux logements. La pression à réaliser du logement coûte que coûte, le plus vite possible, peut donner des logements de très mauvaise qualité et à un moment donné, c'est les personnes qui vont avoir accès à ces logements-là qui vont être pénalisées. »

Plutôt que de modifier en masse les lois de la construction et les règlements municipaux pour se montrer plus attractifs au secteur privé, Saillant maintient que la solution à la crise passe par minimiser le rôle du marché et des monopoles. 

« C'est une crise systémique qui est liée à la volonté de faire de l'argent, de faire du profit, d'accroître les rendements de fonds de placements. C'est tout le système, tout le marché du logement qui est contaminé. »

Cette sortie d'une logique marchande autour du logement, défendue par Saillant, se fait au niveau de la planification de quelques projets de logement socialisé, mais le secteur de la construction y échappe largement.

« Il y a des acteurs sans but lucratif dans plusieurs domaines qui sont impliqués. Mais la construction même, il ne s'est malheureusement jamais développé quelque chose de ce côté-là et pour moi, c'est un des gros manque qu'on a. » ​

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