L'Étoile du Nord

Déclaration du ministre Champagne

Les experts démentent à l’unisson l’annonce d’une réduction des prix alimentaires

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Le jeudi 5 octobre dernier, lors d'une conférence de presse, le ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie, François-Philippe Champagne, a proclamé que sa récente réunion avec les géants monopolistes de l'industrie alimentaire canadienne—au cours de laquelle il leur avait demandé de stabiliser le prix des aliments—commençait déjà à porter ses fruits. Il a ajouté avoir déjà observé des changements dans les circulaires, même si la plupart des experts disent qu'un changement si soudain est impossible.

"J'ai secoué l'arbre, et les pommes commencent à tomber", a déclaré le ministre lors d'une entrevue avec Mario Dumont à TVA. Celui-ci promet que viendront rapidement des gels de prix et de bons rabais visant un allégement des dépenses des familles. Toutefois, ces affirmations semblent opportunistes: de nombreux observateurs font remarquer que chaque année, la période de l'Action de grâce marque le début de la saison des rabais, une période qui s'étend jusqu'aux fêtes de fin d'année.

Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire (LSAA) de l'Université Dalhousie, explique que "les rabais que vous voyez aujourd’hui ont été planifiés il y a six mois. C’est comme ça que le cycle promotionnel fonctionne."

Dr. Sylvain Charlebois

Les préoccupations concernant la hausse des prix des denrées alimentaires demeurent donc justifiées. Pour la même période en 2022, le coût d'un kilogramme de dinde fraîche s'élevait à environ 6,59$ selon les données du LSAA. Cette semaine chez Sobeys, le prix d'une dinde fraîche était affiché à 7,69$ le kilogramme, tandis que chez Métro, il s'élevait à 9,90$.

Les gels de prix, rien de nouveau

Le gel du prix des aliments durant l'automne et l'hiver est également une pratique courante de l'industrie. Suite à l'annonce en grande pompe par Loblaws d'un gel à la fin de 2022, Metro avait précisé que, chaque année, de novembre à février, les demandes d'augmentation de prix de la part des fournisseurs étaient toujours refusées. Marie-Claude Bacon, vice-présidente des affaires publiques et des communications chez Metro, avait expliqué que le but était simplement de ne pas ajouter de travail supplémentaire à leurs équipes, déjà surchargées avec le temps des fêtes.

Malgré ces gels annuels, l'inflation des prix des aliments s'élève à plus de 20% depuis le début de 2020. Le mois dernier, Statistique Canada a publié des données indiquant que les prix dans les épiceries avaient augmenté de 6,9% en août. Bien que ce taux soit en baisse par rapport à la hausse de 8,5% en juillet, il demeure nettement supérieur au taux d'inflation global de 4%, qui remonte depuis quelques mois et dont la tendance à la hausse ne montre aucun signe de ralentissement. 

Le gouvernement contourne la source du problème

Face à cette situation de plus en plus intenable pour de nombreux travailleurs au Canada, le ministre Champagne semble peu enclin à écouter les solutions avancées par les experts pour améliorer la situation. Jusqu'à présent, les mesures de collaboration entre le gouvernement et les grandes entreprises semblent produire peu d'effets concrets, et la seule alternative évoquée est celle de taxer les bénéfices excessifs des géants de l'industrie alimentaire. Cependant, cette proposition est vivement critiquée par la majorité des experts, dont Sylvain Charlebois, qui craignent que les coûts associés à cette taxe ne soient ultimement transférés aux consommateurs.

Il ne faut pourtant pas chercher très loin pour trouver l'origine du problème: un rapport publié en juin par le Bureau de la concurrence du Canada mettait en lumière une concentration extrême du capital dans le secteur de l'épicerie. Actuellement, seulement cinq acteurs majeurs dominent le marché canadien, avec Loblaws représentant à elle seule 30% de celui-ci. 

Selon Moshe Lander, économiste de l'Université Concordia, le gouvernement semble prendre conscience de ses limitations, mais il choisit néanmoins de se livrer à un spectacle politique dans le but de satisfaire les électeurs. "N'oubliez pas qu'il s'agit d'entreprises qui ont des actionnaires à qui elles doivent rendre des comptes," ajoute-t-il, expliquant qu'elles ne baisseront donc pas le prix des aliments et qu'elles ne sont pas des organismes de charité.

Effectivement, la situation actuelle dans le secteur de l'épicerie au Canada est marquée par une concentration considérable du pouvoir décisionnel et de définition des priorités entre les mains de grandes entreprises privées, plutôt que d'être orienté par les travailleurs du pays et leurs besoins concrets. Cette centralisation du pouvoir au sein de l'élite économique a des répercussions significatives sur le prix des denrées alimentaires et sur la manière dont les bénéfices sont distribués et utilisés.

Les trois plus grandes chaînes d'alimentation du Canada, à savoir Loblaw, Sobeys et Metro, ont généré des ventes dépassant les 100 milliards de dollars et des bénéfices dépassant les 3,6 milliards de dollars l'année dernière, selon les données du Bureau de la concurrence. Pendant ce temps, les prix des denrées alimentaires connaissent leur hausse la plus rapide depuis plus de 40 ans, et les travailleurs des épiceries doivent se battre pour avoir simplement les moyens de mettre de la nourriture sur leur table ou de faire de plein d’essence.

Pour mettre de l'huile sur le feu, les grandes chaines d'épicerie et les producteurs alimentaires s'organisent régulièrement en cartel illégal. En fin juin dernier, l'entreprise monopoliste Canada Bread a été condamnée à une amende de 50 millions de dollars pour sa participation à un cartel de fixation des prix du pain. L'entreprise a admis avoir augmenté les prix du pain à deux reprises en 2007 et 2011 en collusion avec Weston Foods, lorsque les deux entreprises étaient la propriété de Galen Weston, le PDG de Loblaw.

Parallèlement, une étude de janvier 2023 de Second Harvest mettait en lumière que les banques alimentaires canadiennes ont constaté une augmentation de la demande de 124% en 2022, et qu'elles anticipaient une nouvelle augmentation d'au moins 60% pour cette année. Des organisations telles que la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain lancent régulièrement des appels en faveur de solutions concrètes pour faire face à cette situation, notamment la régulation stricte des prix des produits alimentaires.

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