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« Règlement pour une métropole mixte »

Les promoteurs immobiliers paient des miettes pour contourner les exigences de logement abordable

Temps de lecture:4 Minute

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Adopté le 1er avril 2021 par le conseil municipal de Montréal, le RMM (Règlement pour une métropole mixte) a été présenté comme un mécanisme permettant à la ville de forcer les promoteurs privés à construire des logements sociaux et/ou à loyer protégé. S'ils refusaient de le faire, ils pouvaient également contribuer à un fonds destiné au logement social. Mais trois ans plus tard, les résultats sont largement décevants.

Après 164 accords signés avec des promoteurs privés, seul un projet de 86 logements a été finalisé, les promoteurs ayant choisi de verser des sommes minimes au fond du RMM. Sa valeur est aujourd'hui estimée à un peu moins de 40 millions de dollars. Ces sanctions restent minimes et avantageuses pour les grands groupes immobiliers privés, qui ont payé en moyenne 4 500$ par logement depuis 2021.

Par exemple, on estime que la ville n'a reçu que 2,3 millions de dollars pour « Le Sherbrooke », un immeuble résidentiel de 515 logements parrainé par Broccolini, dont la construction a coûté plus de 500 millions de dollars. Le prix moyen d'un appartement y est proche de 1,5 million de dollars, ce qui laisse supposer qu'un bénéfice de plus de 200 à 250 millions de dollars sur la vente des unités n'est pas exclu.

Selon la Société d'habitation du Québec (SHQ), la construction d'un logement social coûte plus de 450 000$. Le Sherbrooke n'aurait donc permis de construire que cinq logements sociaux, loin du minimum de 20%, en l'occurrence une centaine d'unités, exigé du promoteur.

En payant la pénalité, le magnat de l'immobilier Broccolini aurait pu ajouter entre 50 et 100 millions de dollars à ses revenus.

Une métropole peu diversifiée

Lors de son adoption, le RMM, communément appelé la loi « 20-20-20 », prévoit 3 catégories distinctes d'unités :

  1. Les logements sociaux gérés par des organisations à but non lucratif, des coopératives ou des acteurs publics indépendants du marché privé ;
  2. Les logements abordables, éventuellement gérés par des acteurs privés, mais avec un contrat d'accessibilité de 20 ans qui maintient l'unité à un certain taux de location ;
  3. Et des unités familiales de 5 pièces ou plus d'une superficie minimale d'environ 86 m² ou 96 m².

L'idée était d'ajouter rapidement des appartements à bas prix au marché immobilier montréalais en pleine explosion en détournant la force de l'embourgeoisement. La ville avait l'intention de forcer les promoteurs à renoncer à ce qu'elle croyait être des compromis décents, ou au moins de les obliger à payer une somme à la ville pour qu'elle fasse le travail à leur place.

Dans l'ensemble, les promoteurs ont choisi de renoncer à cette pression, de verser une somme unique au fonds et de récupérer leurs pertes une fois que leurs projets immobiliers lucratifs et luxueux commenceront à attirer des locataires ou des acheteurs sur le marché immobilier toujours inaccessible de Montréal.

Crédit: Ville de Montréal, site du RMM

La promesse contre la réalité

Les fonds collectés par le RMM sont destinés à l'achat de terrains pour la construction de logements sociaux, ou à l'achat d'unités privées pour les convertir en appartements sociaux. Cependant, cette mesure, comme tant d'autres, souffre de la lenteur bureaucratique de la ville, et ne permet d'ajouter que quelques appartements à loyer stabilisé ici et là. Tout cela alors que des quartiers entiers subissent des purges économiques de leurs habitants issus de la classe ouvrière et des membres de la communauté.

Le résultat ? De petits îlots de logements coopératifs et sans but lucratif dans une mer d'unités privées luxueuses et gonflées, construites sur les cendres d'anciens quartiers ouvriers comme Saint-Henri et Hochelaga. Une goutte d'eau dans l'océan pour les associations de locataires, qui réclament la construction de 50 000 logements sociaux pour que la province commence à s'attaquer à la crise du logement.

Suite à cet échec, la ville a décidé en mars dernier d'augmenter les pénalités, mais seulement après un « allègement » de deux ans pour les promoteurs. Pendant cette période, la ville réduira de 5% le prix de remboursement des logements abordables dans les projets de développement privés, ce qui pourrait permettre aux grandes sociétés de logement d'économiser entre 3000$ et 4000$ par unité.

En fin de compte, la capacité de la ville à s'attaquer à la crise du logement sans l'aide des acteurs fédéraux reste faible et limitée. La ville de Montréal a utilisé le fonds RMM pour retirer du marché privé les pensions de famille, certains petits complexes d'habitation et quelques logements destinés aux personnes âgées. Il a également été utilisé pour acheter des terrains et les donner à des organisations privées à but non lucratif et à des coopératives naissantes.

Cependant, le fond du problème est la dépendance et la subordination de la ville aux acteurs privés. Les grands projets de développement actuels de Montréal, comme le Pont-Bonaventure dans le sud-ouest ou l'Hippodrome, dépendent cruellement de cette stratégie de complaisance à l'égard des promoteurs immobiliers fortement financiarisés et motivés par le profit, qui prennent en otage les investissements dans le logement social s'ils n'obtiennent pas ce qu'ils veulent.

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