L'Étoile du Nord

Les oligarques québécois au volant

​Qui sont les (riches) patrons de la nouvelle agence Santé Québec?​

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Les médias traditionnels sont restés discrets lors du dévoilement en mai dernier du conseil d'administration de la nouvelle agence Santé Québec, qui supervisera le réseau de santé. La plupart des grands journaux se sont contentés d'en présenter brièvement les membres, de façon généralement positive.

Cependant, peu de médias ont souligné un fait frappant: la majorité des membres de ce nouveau conseil proviennent de l'oligarchie et de la haute bureaucratie provinciale, et très peu sont des professionnels de la santé. Voici un bref portrait de ce groupe d'élite choisi par le gouvernement du Québec, censé améliorer l'accessibilité et l'efficacité du système de santé:

Hélène Chartier

Ancienne vice-présidente d'une compagnie de télémédecine privée (Telus)

Pour ne résumer qu'une partie des nombreuses positions prestigieuses qu'elle a occupées, Hélène Chartier siège sur une multitude de conseils d'administration de grandes entreprises privées telles que Technosub, EMKA Technologies et Gecko Alliance. Elle a également été directrice exécutive pour QG100, une ''OBNL'' privée visant à améliorer le revenu d'entreprise québécois ayant plus de 25 millions de dollars de revenu. 

De 2006 à 2017, elle a été vice-présidente de la compagnie de télémédecine privée TELUS Santé. Elle a travaillé à la direction d'ALCATEL en France et chez Bell International dans le cadre d'un contrat de transfert technologique au Maroc, financé par l'Association canadienne du développement international.

Gaston Bédard

Ancien vice-président de Mouvement Desjardins

Entre 1979 et 2009, Gaston Bédard est PDG de multiples banques Desjardins telles que celle de Gentilly, Plessisville, Rocamadour, Limoilou et Nicolet. Il a également été jusqu'en 2020 le PDG du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, un lobby qui défend les intérêts de grandes entreprises.

Anna Chif

Co-fondatrice et chef des opérations d'une compagnie de télémédecine privée (Dialogue)

Anna Chif, étant plus jeune, n'a pas autant d'expérience que d'autres nominés sur cette liste. Par contre, le peu qu'elle a fait en dit gros sur ses intérêts: elle a été consultante chez McKinsey entre 2012 et 2014 et a ensuite co-fondé la compagnie DIALOGUE, une société privée de télémédecine qui a en partie provoqué l'exode des infirmières vers le secteur privé.

Daniel Gilbert

Ancien PDG de la Régie du Bâtiment du Québec

Daniel Gilbert vient du domaine de la gestion immobilière depuis le début des années 2000. Il a été PDG de la Société immobilière du Québec avant son abolition pour devenir la Société québécoise des infrastructures. Il a ensuite été PDG de la Régie du bâtiment du Québec jusqu'en 2009. Depuis 2012, il est désormais conseiller stratégique en pratique privée.

Geneviève Biron (PDG de Santé Québec)

PDG de groupe Biron Santé et fondatrice de l'entreprise privée Imagix

Geneviève Biron, désormais PDG de Santé Québec, a hérité par népotisme de la position de PDG du groupe Biron Santé, une des plus grandes compagnies privées au Québec, régulièrement accusé par les syndicats et autres organismes de participer activement à la privatisation du système de santé. Geneviève Biron est également fondatrice d'Imagix en 2005, une clinique d'imagerie médicale privée.

Christiane Germain (présidente du conseil d'administration)

Présidente cofondatrice de la chaîne hôtelière groupe Germain et membre fondatrice de la CAQ

Christiane Germain, désormais présidente du conseil d'administration, est co-présidente et co-fondatrice de la chaîne hôtelière du Groupe Germain, une des plus grandes compagnies d'hôtels au Canada. Elle a également été présidente de l'Office du tourisme et des congrès de la Communauté urbaine de Québec, du Festival d'été de Québec et de l'Association des restaurateurs de Québec. Elle fait également partie du prestigieux Cercle des Grands entrepreneurs du Québec, une initiative de la Caisse de dépôt et placement du Québec, du Groupe Desjardins et de la Banque Nationale.

Michel Lessard

Haut placé dans de nombreuses entreprises privées ainsi que plusieurs positions importantes au gouvernement fédéral

Michel Lessard a été haut placé dans une longue liste d'entreprises privées ainsi que le gouvernement fédéral canadien. Il a été dans de prestigieuses positions dans des compagnies telles que Bell Canada, Hansol Iglobe en Corée du Sud, chez Amdocs Canada et des positions au gouvernement telles qu'au ministère de la Défense nationale, Ressources naturelles Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada. Il est désormais président fondateur de la compagnie SCIM incorporé, une entreprise de conseil en gestion.

Jean-Luc Gravel

Haut placé dans plusieurs institutions bancaires et financières

Jean-Luc Gravel a été directeur principal de plusieurs institutions bancaires telles que BMO Nesbitt Burns, Newcrest Capital et TD Newcrest. Il a également longtemps travaillé à la Caisse de dépôt et placement du Québec et a été conseiller stratégique au président de 2018 à 2020.

Incompétence ou malhonnêteté?

La réforme de l'agence Santé Québec suit le même modèle que les réformes des années 2000 et la réforme Barrette. L'idée d'augmenter la présence du secteur privé pour améliorer le réseau de santé n'est pas nouvelle, et les expériences récentes montrent que cela n'a pas réussi à résoudre les problèmes qui persistent, et qui, en réalité, sont presque inchangés depuis la fin du siècle dernier.

Cela se passe malgré les protestations des travailleurs du réseau de la santé, qui, par l’intermédiaire de leurs syndicats, exigent un rôle plus actif dans la gestion locale, en mettant en avant leur expertise de terrain. On est bien loin de l'époque où les ancêtres des CLSC, alors appelés cliniques communautaires, offraient un accès local aux soins de santé tout en impliquant la communauté dans sa gestion.

Ainsi, les grands acteurs du secteur privé ne semblent donc pas viser un système de santé efficace et accessible à tous. L'oligarchie québécoise semble plutôt continuer sa privatisation progressive du secteur de la santé, soutenue par des fonds publics, en collaboration avec la CAQ et le ministre de la Santé. Derrière le discours d’une réforme axée sur l'efficacité, on voit émerger un système de santé redéfini pour maximiser les profits, laissant les travailleurs en assumer le coût. ​