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Rapport secret de la GRC

Un « wake-up call » ou un appel à la répression?

Temps de lecture:4 Minute

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En 2023, un rapport secret de la police atterrit sur le bureau de Justin Trudeau, donnant à son café du matin le goût amer de la réalité. Intitulé « Whole-of-Government Five-Year Trends for Canada », ce document, dévoilé en mars 2024 grâce à la loi sur l'accès à l'information, résonne comme un avertissement sombre pour les élites du pays. Pourtant, peu de gens sont surpris : la baisse du niveau de vie, les conflits internationaux et une perte de confiance envers les institutions pourraient très bien déstabiliser l'État canadien.

Le document de 9 pages a été lourdement censuré, y compris deux pages entières complètement cachées. Une partie de l'introduction se lit comme suit : « La situation se détériorera probablement encore au cours des cinq prochaines années, les premiers effets du changement climatique et d'une récession mondiale venant s'ajouter aux crises en cours », résumant assez bien ce qui suit dans le document. 

Les aveux contenus dans ce rapport sont rarement entendus de la bouche des politiciens et des organisations gouvernementales. Par exemple :

« La période de récession à venir va accélérer le déclin du niveau de vie que les jeunes générations ont déjà constaté par rapport aux générations précédentes. Par exemple, les Canadiens de moins de 35 ans sont moins susceptibles de pouvoir acheter une propriété. Les conséquences du déclin du niveau de vie seront exacerbées par le fait que l’écart en termes de richesse est plus grand dans les pays développés qu’il ne l’a jamais été dans les générations précédentes. »

Les « retombées » mentionnées par la GRC dans ce passage (sous le titre « ressentiment populaire ») ne semblent pas concerner l'impact que la récession aura sur les pauvres et les travailleurs canadiens, mais plutôt l'impact qu'elle aura sur leur attitude à l'égard de la GRC et du gouvernement.

Le titre de la section suivante est « Érosion de la confiance », et bien qu'elle occupe un tiers de page, la seule phrase non censurée indique simplement qu'il y a "une polarisation sociale et politique marquée dans le monde occidental". Si vous vous demandiez ce que ça implique pour la GRC, tant pis pour vous.

En ce qui concerne le changement climatique, le rapport déclare qu'il « aura un impact sur toutes les facettes du gouvernement » et qu'il « aura probablement un effet négatif disproportionné sur les établissements autochtones », poursuivant ainsi la tendance à énoncer des faits évidents en dissimulant toute conclusion.

La section « prochaines étapes » qui clôt le rapport est bien entendu censurée. Toutefois, il semble bien que la GRC ne soit pas totalement prête à faire face à toutes ces crises, référant à l'image d'un château de cartes précaire : « Le renforcement des capacités par l'attraction et la rétention de personnel qualifié reste un défi pour l'application de la loi. »

Mais qu'est-ce que ça veut dire pour Monsieur et Madame Tout-le-monde, au final ? Ça veut dire que même la GRC reconnaît que la situation est grave, et qu'elle en comprend les raisons. Ça veut aussi dire que le gouvernement fera tout en son pouvoir pour étouffer tout mouvement de changement, parce qu'il considère cette réalité comme une menace à la sécurité publique, pas comme des problèmes à résoudre.

Prenons par exemple la crise du logement, qui suit de près la financiarisation du marché locatif au cours des dernières décennies. Nous avons assisté à une explosion de la concentration des propriétés locatives entre les mains d'une poignée de propriétaires monopolistiques et d'entreprises : les 25 plus grands propriétaires du Canada détiennent aujourd'hui 20% du parc immobilier locatif. Le fait que ces gigantesques monopoles étranglent de plus en plus les travailleurs canadiens n'inquiète pas trop le gouvernement, mais quand les travailleurs en ont assez, c'est là que le bât blesse. C'est sans doute la raison pour laquelle ils ont censuré la section « Prochaine étape ». Disons simplement, gentiment, qu'elle ne contient probablement pas beaucoup de suggestions pour améliorer nos vies.

Ainsi, au lieu de prendre ce rapport comme un « wake-up call », au lieu de réaliser qu'il est peut-être temps de prendre des mesures pour améliorer la qualité de vie des gens, pour donner aux travailleurs une plus grande voix dans l'économie afin qu'elle serve leurs intérêts, pour résoudre la crise du logement, pour mettre fin aux guerres inutiles qui ne profitent qu'aux élites économiques, au lieu de se ranger du côté des travailleurs et non des oligarques financiers et corporatistes du Canada, le gouvernement cherche à savoir comment la GRC peut « faire face aux retombées à venir. » Quelle magnifique démocratie, n'est-ce pas ?

Disons qu'il est peut-être temps d'arrêter de se laisser marcher sur les pieds.

Le document déclassifié dans son ensemble peut être lu ici (en anglais)

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