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L'été dernier au Manitoba, les grèves des travailleurs de l'assurance publique et de Liquor and Lotteries ont mis l'impact des briseurs de grève au-devant de la scène dans la province. Pendant ces arrêts de travail, des briseurs de grève ont été embauchés par le gouvernement pour remplacer des moniteurs d'auto-école, des agents de centres d'appel et des vendeurs du Liquor Mart, entrainant une forte perte de pouvoir de négociation pour les travailleurs et une prolongation inutile de leur grève. Bien que le NPD manitobain soit actuellement au pouvoir et ait régulièrement plaidé en faveur d'une position officielle contre les briseurs de grève, rien ne bouge.
Au Canada, seuls la Colombie-Britannique et le Québec disposent de lois anti-briseurs de grève. L'Ontario a adopté une loi semblable en 1992, mais elle a été annulée en 1995. La province a de nouveau présenté un projet du genre, mais il n'est encore qu'au début de son élaboration. Le Manitoba n'a jamais eu de loi anti-briseurs de grève, malgré la campagne en ce sens menée par la Fédération du travail du Manitoba (FTM) depuis 1978.
Scott Price, historien du travail à Winnipeg, a expliqué à l'Étoile du Nord que lorsque Howard Pawley était Premier ministre dans les années 1980, « il y a eu beaucoup de débats sur la lutte contre les briseurs de grève et cette question a été soulevée à la suite de conflits de travail très longs et brutaux. En 1987, il y a eu une grève à Superstore et à Westfair à l'initiative de l'UFCW (United Food and Commercial Workers), et ce fut très, très long. C'était probablement les piquets de grève les plus intenses au Manitoba depuis, peut-être, la première grève du syndicat des infirmières dans les années 90. La grève du Superstore a donné lieu à des arrestations massives de travailleurs. Il y avait beaucoup d'animosité sur les piquets et les gens voyaient clairement un problème, si bien que certains membres du mouvement syndical se sont dit: 'il nous faut des mesures anti-briseurs de grève. C'est le moyen le plus direct de contrer ça' ».
Cependant, Scott Price a déclaré à l'Étoile du Nord que les éléments les plus conservateurs du mouvement syndical disaient que « c'est quelque chose qui rendrait la droite folle » et qu'il y avait le sentiment que le NPD serait sûrement attaqué s'ils adoptaient une telle loi.
À la place d'une loi qui protégerait les grévistes contre le remplacement en cours de conflit de travail, une autre loi a été adoptée: la sélection de l'offre finale. Elle donne à un arbitre le pouvoir de choisir entre l'offre finale du syndicat et celle de l'employeur. L'adoption de cette loi a divisé le mouvement syndical au Manitoba, puisque certains syndicats étaient satisfaits de la loi, comme les TUAC, les Métallos et le MGEU (à l'époque, le MGEA), tandis que d'autres s'y opposaient fermement, comme le Syndicat des travailleurs des postes, le Syndicat canadien de la fonction publique et d'autres syndicats du secteur public.
Depuis, le Manitoba a remplacé la sélection de l'offre finale par une loi similaire qui permet au syndicat ou à l'employeur de demander un arbitrage contraignant après 60 jours de grève—une fois la demande d'arbitrage faite, l'autre partie ne peut pas la refuser. Si aucune demande d'arbitrage n'a été introduite après 90 jours de grève, les deux parties doivent se soumettre à un arbitrage contraignant.
Selon Scott Price, à presque tous les congrès du NPD au Manitoba, une proposition anti-briseurs de grève est approuvée. « Lors du dernier congrès, cette proposition a été adoptée à l'unanimité, pour autant que je sache. » Le chef du parti NPD du Manitoba et premier ministre nouvellement élu de la province, Wab Kinew, aurait déclaré qu'une loi anti-briseurs de grève lui semblait logique, mais qu'il pensait que les Manitobains ne comprenaient pas ce que c'est et qu'ils devaient être consultés avant que le NPD n'adopte quoi que ce soit.
Les travailleurs avec lesquels l'Étoile du Nord s'est entretenu sur les différents piquets de grève au cours de l'été comprenaient parfaitement à quoi ressemblait une loi anti-briseurs de grève et étaient curieux de savoir pourquoi le NPD « traînait les pieds » avant d'adopter la loi. Sur le piquet de grève de la Société d'assurance publique du Manitoba, les travailleurs expliquaient qu'ils avaient reçu la visite de Wab Kinew pendant pas plus de 20 minutes, et que ce n'était «manifestement qu'une séance de photos pour lui. »
« Dans le cas d'une grève, les travailleurs essaient d'exercer [...] l'un des rares contrôles dont ils disposent sur un lieu de travail, c'est-à-dire se retirer de leur travail et la grève. Et un briseur de grève va directement à l'encontre de ces objectifs... Tous les travailleurs à qui je parle qui ont vécu quelque chose comme ça, même si c'était il y a des décennies, ont une réaction très viscérale lorsqu'ils commencent à parler des briseurs de grève. »
Les briseurs de grève, « c'est un moyen économique, politique et même psychologique direct contre les travailleurs en grève, parce que s'ils peuvent continuer à faire fonctionner leur entreprise ou leurs opérations alors que les travailleurs sont en grève, ça affaiblit directement leur lutte. C'est un moyen très puissant, quand on y pense: si vous êtes en grève et que vous essayez de vous battre pour un meilleur contrat, de meilleures conditions de travail pour tout le monde, et que vous voyez des gens qui continuent à travailler, à gagner de l'argent pendant que vous n'en gagnez pas, ça décourage. »
« S'il y a une grève avec beaucoup de briseurs de grève, les effets sur la main-d'œuvre se font sentir durant des années et des années. Vous pouvez reprendre le travail, mais vous savez que des briseurs de grève n'ont pas seulement [franchi le piquet] pendant que vous étiez en grève, mais qu'ils gagnaient plus d'argent. Ils reviennent ensuite et travaillent sous la convention collective pour laquelle vous vous battiez alors qu'ils rongeaient votre lutte. »
Comment faire adopter une loi anti-briseurs de grève selon Scott Price? « Je pense que les travailleurs devraient simplement s'organiser pour faire pression [contre les licenciements] et présenter ces arguments. Tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du mouvement syndical. »
Au Manitoba, des organisations militent en faveur de la lutte contre les briseurs de grève, comme la FTM et le 1919 Workers Collective. Scott Price a donné une conférence avec le 1919 Workers Collective sur l'histoire de la loi anti-briseurs de grève au Manitoba. Elle est disponible sur YouTube.