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La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) est l'un des derniers syndicats du secteur public québécois qui n'a pas encore ratifié d'accord avec le gouvernement de la CAQ à la suite des grèves du Front commun de l'année dernière. Au cours de l'automne et de l'hiver 2023, plus de 480 000 travailleurs du secteur public de la province se sont mis en grève durant une des plus grandes actions syndicales de l'histoire de l'Amérique du Nord.
Le 19 mars, la FIQ, qui représente plus de 80 000 infirmières et travailleurs de la santé, a annoncé qu'une entente de principe avait été conclue avec le gouvernement du Québec, dont le contenu n'a pas encore été divulgué par les deux parties. Les syndiqués ainsi que les patients seront très attentifs à un point en particulier : celui des transferts obligatoires. À la table des négociations, la CAQ a exercé de fortes pressions dans le but d'obliger les infirmières à accepter des réaffectations dans des services et des établissements dans lesquels elles n'ont que peu ou pas d'expérience.
Pour en savoir plus sur les transferts obligatoires et ce qu'ils impliquent pour les infirmières et les patients, l'Étoile du Nord s'est entretenue avec Natalie Stake-Doucet, infirmière autorisée et professeure adjointe en sciences infirmières à l'Université de Montréal.
« Cette mesure suscite beaucoup de craintes et d'inquiétudes, et c'est l'une des principales raisons pour lesquelles les infirmières n'ont pas encore conclu d'accord avec le gouvernement. [...] Lorsque vous n'avez pas d'expérience dans une certaine spécialisation, il est vraiment dangereux de forcer quelqu'un à s'y rendre sans aucune orientation ou préparation préalable, et nous ne voulons pas travailler dans des conditions dangereuses. Nous sommes conscients que notre travail est déjà assez difficile. Nous voulons avoir les outils dont nous avons besoin pour pouvoir offrir des soins adéquats ».
L'un des principaux messages du Front Commun était le lien entre les conditions de travail dans le secteur public et la qualité des services offerts au public. Stake-Doucet avait beaucoup à dire à ce sujet :
« Pour moi, cette dichotomie que le gouvernement met de l'avant, à savoir que nos conditions de travail sont une chose et que les soins aux patients en sont une autre, est très frustrante parce que les conditions dans lesquelles nous travaillons sont les conditions dans lesquelles les patients se trouvent également. Par conséquent, toutes les revendications que nous formulons concernant nos conditions de travail sont également des revendications que nous formulons pour pouvoir fournir de meilleurs soins. [Les transferts obligatoires sont] terribles pour les patients parce que lorsqu'on oblige les gens à se déplacer, on perd la continuité des soins, on perd la stabilité des équipes et on perd beaucoup d'expérience. »
Stake-Doucet explique que les transferts obligatoires ont un impact direct sur le bien-être des infirmières. Elle qualifie de « douloureux et angoissant » le fait de travailler dans un environnement qui ne fournit pas aux infirmières les outils nécessaires pour bien faire leur travail, ce qui conduit à l'épuisement professionnel et à des problèmes de santé mentale. Il s'agit là d'un problème majeur dans une profession qui a tant de mal à retenir ses travailleurs.
Lorsque les infirmières quittent la profession, « [les établissements de santé] sont forcés d'entrer dans ce cycle d'attrition, où le roulement des infirmières est de plus en plus important, et ils se retrouvent constamment dans une situation où ils n'ont pas assez d'infirmières pour chaque quart de travail ». C'est parce que les infirmières partent. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas assez d'infirmières. [...] De toute son histoire, le Québec n'a jamais eu autant d'infirmières diplômées. Notre problème n'est pas le nombre total d'infirmières. C'est notre incapacité totale à retenir les infirmières dans le système public de soins de santé ».
Les effets du déplacement obligatoire des travailleurs sont déjà bien connus des infirmières du Québec, dont beaucoup ont été affectées à des environnements de travail inconnus dès les premiers jours de la pandémie de COVID-19.
« J'ai connu des personnes qui avaient été infirmières pendant à peine un an ou deux en pédiatrie ou dans le nouveau service de soins intensifs néonatals, et qui ont ensuite été transférées de force dans une maison de soins de longue durée où elles devaient être infirmières en chef », se souvient Stake-Doucet. « Ces infirmières n'avaient aucune expérience en gestion, ni en gériatrie, qui est en soi une spécialisation. Beaucoup de ces infirmières ne sont plus infirmières dans le système de santé. Cela a été brutal pour beaucoup d'entre nous ».
Elle estime que la détérioration du système de soins de santé et la proposition de mesures néfastes telles que les transferts obligatoires sont dus au fait que le gouvernement n'a pas écouté les personnes qui connaissent le mieux le système, à savoir les infirmières. « Si vous n'avez pas le point de vue du plus grand groupe de professionnels de la santé dans le système de santé, il est presque impossible de prendre les bonnes décisions en tenant compte de tous les éléments. »
Compte tenu des graves problèmes qui se profilent à l'horizon pour le secteur de la santé et ses travailleurs, Stake-Doucet a remarqué un regain de lutte et de résistance chez les infirmières. « J'ai vraiment constaté un changement chez mes collègues et même chez mes étudiants en ce qui concerne la valeur qu'ils s'accordent et la valeur qu'ils estiment avoir pour le système de soins de santé. [...] Je pense que la pandémie a transformé beaucoup de nos peurs et de nos inquiétudes en colère, et je suis très favorable à l'expression de cette colère, car elle est juste. »