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« C'est à qui, Postes Canada », lance Guillaume Brodeur, du syndicat des postes? « C'est à nous autres! C'est aux citoyens! C'est aux enfants qui attendent un cadeau de Noël! » Le syndicaliste, tout comme la centaine de postiers devant lui, vient d'apprendre que le ministre du Travail met fin à leur grève. Ceux-ci s'étaient réunis vers 10h hier matin à la Place des Arts, à Montréal. Mais pour eux, ce n'est qu'une pause dans leur lutte.
En effet, en point de presse hier matin, Steven McKinnon a qu'il avait « demandé au Conseil canadien des relations industrielles d'ordonner à Postes Canada et à ces employés du STTP de reprendre et de poursuivre leur travail, et de prolonger les termes des conventions collectives existantes jusqu'au 22 mai 2025. Pendant cette période, une commission d'enquête sur les relations de travail sera mise sur pied. »
Le ministre du Travail a ainsi nommé un commissaire qui devra, selon ses dires, analyser les raisons qui ont mené à un blocage dans les négociations. Il devra produire un rapport d'ici le 15 mai 2025 avec des recommandations pour le contrat de travail.
Il devra aussi « examiner l'ensemble de la structure de Postes Canada, du point de vue des clients et de l'industrie, en tenant compte de l'environnement commercial difficile auquel Postes Canada est confrontée. »
L'argument du grand patron des relations de travail? Il faut mettre fin à ce conflit, parce qu'aucune « des parties n'a été en mesure de montrer des progrès vers un accord. »
Cependant, il ne mentionne pas qu’au début de la semaine, Postes Canada a rejeté du revers de la main une offre de compromis des postiers. Entre autres, ils réduisaient de 3% leur demandent d'augmentations salariales sur une durée de 4 ans. Ils réduisaient aussi les demandes d'heures garanties pour les nouveaux postes à temps partiel de fin de semaine.
Pas un retour au travail comme les autres
Hugo Charette, lui aussi délégué du syndicat des postes, pense qu'il y a un côté positif à la situation. « Ce n’est pas un arbitrage forcé qui va venir sceller nos conditions de travail. Faut quand même être fier de ça. On s'est tenus ensemble et on a mis la lumière sur la mauvaise gestion de Postes Canada. Bravo! »
Pour les postiers, la victoire, c'est d'avoir forcé le gouvernement à reconnaitre la mauvaise gestion de la société d'État, gangrenée par les nominations politiques et le copinage familial. Ils expliquent qu'une commission donnera au moins l'occasion d'aller plaider ses idées à d'autres qu'à la sourde oreille du PDG, Doug Ettinger.
« Ils sont en train de tuer la poule aux œufs d'or que Postes Canada est aujourd'hui, » s'exclame M. Brodeur. « Il faut que ça change. Parce que c'est vrai qu'on va aller dans un mur si on continue avec du monde qui n'a aucune vision. Et tout ce qu'ils veulent, on dirait que c'est privatiser et démanteler un service postal public, qui est là pour la population. »
Il demande d'ailleurs à tous les membres du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes de rentrer au travail la tête haute. « Ce n'est pas vrai qu'on va laisser à nos enfants de moins bonnes conditions. Ce n'est pas vrai qu'on va créer des sous-clauses d'emploi pour les jeunes. Ça, on ne l'acceptera jamais. Ni ce coup-ci, ni dans quatre ans, ni dans huit ans. Jamais. »
Hugo Charette ajoute: « Avec toute notre solidarité, il faut rentrer sur les planchers de travail et faire respecter chaque ligne de notre convention collective et en être fiers et se tenir ensemble. Ils n'auront jamais vu ça des planchers unis de même. Fini les intimidations pour les accidentés du travail. Ce qu'on a bâti le dernier mois, on va le garder et on va se faire respecter sur le plancher. »
Pas de lunettes roses
Les travailleurs de Postes Canada ne mettent pas leurs lunettes roses pour autant. Ils savent que le gouvernement pourrait vouloir se diriger vers un modèle plus près d'Amazon ou UPS. « Ils veulent s'orienter vers la livraison de la fin de semaine, peut-être plus de soir aussi, la livraison de colis. Qu'on le veuille ou non, on s'en va vers ça. Ensuite, ce que le syndicat voulait faire, c'est qu'il y ait des balises, » explique M. Brodeur à l'Étoile du Nord.
« Il y en a beaucoup qui disent qu'on devrait privatiser Postes Canada », développe M. Charette. « Mais privatiser Postes Canada, ça donnerait ce qu'on a eu pendant la grève. De par la nature de notre territoire, il y a du monde qui perdrait le service entièrement. »
Une travailleuse dans le groupe semblait mitigée. « Je suis contente qu'ils fassent une commission, » dit-elle, « mais pourquoi le gouvernement n'a pas tout simplement demandé une enquête pendant qu'on continue les négociations, puis qu'ils mettent de la pression? »
« On a gagné l'enquête. C'est cool, je suis contente, vraiment. Sauf qu'à part ça, nous, on n'a plus de moyens de pression. On n'a plus de moyens de pression pour gagner nos autres demandes, tous les points qui n'ont pas été réglés jusqu'à maintenant. »
Dans un groupe Facebook fermé des travailleurs de la poste de la région de Montréal, les membres du syndicat se questionnent. Par exemple, un postier a publié en fin de journée: « C'est le temps de défier le système! » Cette affirmation a lancé un débat complexe.
Plusieurs affirment qu'ils souhaiteraient ignorer l'ordre du gouvernement, mais qu'ils ne voient pas comment. Un travailleur pointe d'ailleurs les amendes pouvant aller jusqu'à 1000$ par jour par travailleur qui pourraient être données au syndicat. Dans le cas du STTP, cela représenterait 55 millions de dollars par jour de défiance. Il faudrait espérer un acte de la cour déclarant ces amendes et l'ordre illégal, qui pourrait venir plusieurs années après.
Jim Gallant, négociateur pour le STTP, a prévenu le gouvernement de ne pas trop jouer avec le feu, lors d'une entrevue avec CBC. « C'est un vrai problème pour nous. Le gouvernement enfreint la Charte canadienne des droits, et il le fait beaucoup trop souvent. […] Et si les travailleurs du CP, les travailleurs de WestJet et les travailleurs des ports obtiennent tous la même chose, tôt ou tard, ça va provoquer une réaction. »
Dans tous les cas, les travailleurs gardent espoir à Montréal. Ils disent aussi garder le gouvernement à l'oeil, et qu'ils ne se laisseront pas faire s'il tente de détruire encore plus leur entreprise.
« Le 22 mai, on va être prêts. S'il faut se sortir dehors, on sortira », affirme M. Brodeur, déterminé.
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