Le chaos a éclaté lors d’un débat local à Montréal quand un candidat exclu a pris d’assaut la scène pour demander la parole, avant d’être expulsé de force. Tout ça s’est déroulé alors que le Parti vert avait été exclu à la dernière minute des débats à Radio-Canada et CBC la veille, incapable de satisfaire la Commission des débats des chefs.
La soirée devait se dérouler sans heurt au pavillon Sherbrooke de l’UQAM. Après des semaines de préparation, le groupe de médias étudiants qui organisait l’événement était prêt pour leur débat local, dans la circonscription de Laurier–Sainte-Marie. L’auditorium était prêt, le public arrivait au compte-gouttes et cinq partis politiques avaient été invités: le Bloc Québécois, les Libéraux, les Conservateurs, les Verts et le NPD.
Plusieurs avaient été laissés de côté par les organisateurs: deux candidats indépendants, ainsi que des représentants du Parti populaire, du Parti marxiste-léniniste, du Parti communiste et du Parti Rhinocéros. Comme dans la plupart des débats locaux, leur absence était considérée comme allant de soi.
Le débat a débuté avec une dizaine de minutes de retard. Les organisateurs ont pris le micro pour remercier tout le monde et souligner les efforts déployés pour que la soirée ait lieu. Ils ont ensuite invité les candidats à monter sur scène.
Mais alors que les invités s’installaient à leur place, cette soirée bien préparée a soudain dérapé.
Adrien Welsh, candidat du Parti communiste du Canada dans la circonscription, est monté sur scène, scandant des slogans réclamant l’inclusion de son parti dans le débat. Il était accompagné de quelques sympathisants dans la foule.
Les organisateurs ont rapidement menacé de faire expulser physiquement Welsh par les services de sécurité, ce qui est illégal. Les candidats et les organisateurs se sont regroupés sur la scène, à la recherche d’une solution.
Jacob Pirro du Parti Vert et Nîma Machouf du NPD ont proposé de partager leur temps de parole avec Welsh, mais les organisateurs ont refusé. L’animatrice a alors donné un ultimatum de trois minutes au candidat, faute de quoi elle appellerait la police. « Allez-y », a répondu Welsh, choisissant la deuxième option, tandis que certains dans la foule commençaient à s’impatienter et à lui crier d’arrêter.

La police est arrivée au bout de trois minutes et a fait sortir Welsh du bâtiment, en le menaçant de l’accuser de méfait public. Les forces de l’ordre ont ouvert un dossier sur lui, mais aucune charge n’a finalement été retenue à son encontre. Machouf et Pirro, visiblement perturbés par cette situation, ont quitté l’événement. Ce dernier a déclaré à The North Star que la présence de la police l’empêchait de rester dans un espace destiné à un dialogue politique ouvert.
M. Welsh a expliqué à l’Étoile du Nord lors d’une entrevue le lendemain: « Au débat à l’UQAM, en 2019, j’avais été obligé de faire la même chose. Mais ils ont accepté que je puisse parler. Ce qui s’est produit [jeudi], c’est un autre niveau. Faire que la police entre dans une enceinte universitaire, c’est déjà quand même très lourd de symbolique. »
Le débat a fini par se dérouler en présence de représentants de trois partis seulement: Libéraux, Conservateurs et Bloc Québécois. Steven Guilbeault, le candidat libéral sortant de Laurier-Sainte-Marie, est apparu via Zoom après s’être désisté environ 30 minutes avant le débat. Les journalistes de l’Étoile du Nord ont remarqué qu’un bus de campagne libéral était garé à environ 1 km du lieu du débat.
Pour Jacob Pirro, l’incident a confirmé que le système électoral est hostile aux voix politiques dissidentes:
« J’ai l’impression que [ce qui s’est passé] ne révèle pas grand-chose dont on n’était pas déjà au courant: que le statu quo et le décorum favorisent clairement les gens qui sont déjà les plus influents, les gens qui ont déjà le plus de pouvoir », a-t-il fait remarquer. « Si les seules personnes qui peuvent parler au micro, c’est les gens qui sont plus ou moins en accord avec le système actuel, c’est une philosophie vraiment dangereuse à garder. »
Les petits partis comme le Parti communiste, le Parti Avenir Canadien, le Parti Rhinocéros ou le Parti Uni du Canada sont fréquemment exclus des débats à travers le pays, à la fois au niveau local et, bien sûr, des débats des chefs.

M. Welsh a souligné que des 16 partis enregistrés, seuls quatre ont participé au débat des chefs. Cela prouve, selon lui, l’existence de graves obstacles à la démocratie.
« Un des éléments clés d’une élection, selon un arrêté de la Cour suprême, c’est le droit à un vote informé », note M. Welsh. « Comment est-ce que le vote peut être informé si le seul moment où tu apprends qu’il y a un candidat communiste, un candidat indépendant, un candidat rhinocéros, c’est quand tu vas dans l’isoloir? »
Pour participer aux débats des chefs fédéraux, les partis doivent remplir deux des trois critères suivants: avoir un député, obtenir des intentions de vote de 4% ou présenter des candidats dans 90% des circonscriptions. Lorsque les candidats des petits partis ne peuvent même pas participer aux débats locaux, on peut se demander comment ils pourront obtenir suffisamment de soutien pour satisfaire à ces critères sur la scène fédérale.
Jacob Pirro a souligné l’importance démocratique des débats locaux: « Pourquoi pas juste laisser les gens parler? La beauté de ce genre de débat, c’est que c’est le plus proche qu’on a d’une démocratie directe. Tu peux être en mesure de parler directement avec les gens qui ont l’intention de représenter la population ».