En octobre, cinq Québécois et Canadiens ont été détenus dans des conditions déplorables par l’armée israélienne après avoir essayé d’amener de l’aide humanitaire par bateau dans la bande de Gaza. L’Étoile du Nord s’est entretenue avec une de ces personnes, la docteure Nimâ Machouf, épidémiologiste et enseignante à l’université de Montréal.
Le mouvement des « flottilles de la liberté » est né après l’imposition du blocus de Gaza en 2007, un acte illégal selon le droit international. Israël contrôle depuis tout ce qui entre et sort du territoire, ce qui a poussé des militants à tenter de briser ce siège par la mer. À l’exception d’une mission en 2008, l’armée israélienne a toujours stoppé les bateaux, parfois même en les bombardant pour les empêcher d’avancer.
Le mouvement des flottilles vise aussi à attirer l’attention médiatique pour sensibiliser le public. Comme Nimâ Machouf était déjà bien connue au Québec, elle a accepté d’y prendre part pour encourager une couverture plus large de l’initiative.
Mais après l’annonce du départ d’une nouvelle vague de flottilles, le gouvernement israélien a averti que toute aide humanitaire envoyée par bateau vers Gaza serait considérée comme un acte terroriste. Malgré ces menaces, Machouf a quand même décidé d’y participer.
Son bateau, le Conscience, un petit navire de 1972 déjà bombardé par le passé, avait été désigné pour transporter les médias et les équipes médicales. Il transportait aussi de la nourriture et du matériel médical, pour une valeur d’environ 200 000 $.
Machouf a rappelé qu’au cours des deux dernières années, l’armée israélienne a délibérément visé journalistes et personnels de santé pour contrôler l’information qui sortait de Gaza et empêcher tout témoignage indépendant. Reporters sans frontières recense plus de 200 journalistes tués, un niveau jamais vu dans un conflit.
Elle souligne aussi que l’armée israélienne a tué près de 1 600 médecins et secouristes et bombardé des centres de santé, des hôpitaux et des ambulances, alors que ces professions sont censées être protégées en temps de guerre.

Kidnapping en mer
Parti d’Italie le 1er du mois, le Conscience a été intercepté le 8 octobre par l’armée israélienne alors qu’il se trouvait toujours en eaux internationales, une intervention illégale selon le droit maritime. Deux hélicoptères militaires ont d’abord survolé le bateau avant l’opération d’arrestation.
« Ils sont descendus très, très bas. C’était terrorisant. De chaque hélicoptère, il y a environ sept, huit commandos qui sont descendus par des cordes, armés jusqu’aux dents, avec des jumelles, cagoulées. Ils nous pointaient avec du laser, comme dans les films. »
« Ils savaient très bien qu’on n’était pas armés. Ils savaient très bien qu’on n’allait pas résister. Ils savaient très bien qu’on était en mission humanitaire. Alors, quand ils se comportent avec nous de cette manière, ça en dit long sur ce qu’ils font avec les [palestiniens]. »
Machouf souligne que les passagers n’étaient pas en territoire israélien et n’avaient aucune intention s’y rendre. Une fois débarqués, les militants arrêtés ont été menottés puis forcés à rester à genoux pendant plusieurs heures, dans une mise en scène visant clairement à les humilier.
« La tête penchée, les mains attachées derrière. C’était quand même assez difficile. Pendant ce temps-là, ils parlaient très fort, en rigolant. Ils nous ont jeté nos passeports. Ils nous traitaient avec beaucoup d’humiliation, de mépris, de violence. »
Arrivés en prison, certains prisonniers ont vécu de la violence psychologique et même physique. « Premièrement, ils nous ont encore une fois attaché les mains. Ils nous ont bandé les yeux. »
Les prisonniers ont été enfermés dans une petite pièce aux murs métalliques, où des chaînes pendaient du plafond bas, à peine deux mètres. La climatisation poussée au maximum les laissait engourdis de froid, immobiles pendant des heures.
« Sur le mur en face, il y avait un grand drapeau d’Israël. » À côté, une affiche encore plus grande, sur lequel était écrit en arabe « ‘le nouveau Gaza’. C’était une affiche en noir et blanc, avec que des ruines. »
Après plusieurs jours en captivité, Machouf a été déportée vers le Canada. Elle est revenue le 12 octobre.

Exiger le respect des lois internationales
Pour la docteure et militante, même si elle et ses camarades ont été kidnappés et empêchés d’atteindre Gaza, la flottille est loin d’être un échec. Elle estime que l’action a eu un effet réel sur les gouvernements et sur les mouvements militants à l’échelle internationale.
« Ne serait-ce que par la mobilisation internationale qu’il y a eu. Parce qu’on arrivait à un point culminant: il n’y avait pas juste les flottilles, mais la rue ne lâchait pas. Les syndicats ne lâchaient pas. Les grèves ne lâchaient pas. »
En effet, de nombreuses manifestations et grève ont eu lieu à travers le globe. En Italie, près d’un million de personnes ont défilé à Rome, tandis que des débardeurs ont refusé de charger tout conteneur à destination d’Israël et que d’autres militants ont bloqué le décollage d’un avion à l’aéroport.
Cette pression internationale a poussé plusieurs pays occidentaux à reconnaître l’État palestinien et à bloquer certaines ventes d’armes à Israël. Le Canada, lui, n’a pas complètement respecté ses engagements. Même si le Parlement a jugé ces ventes illégales, le gouvernement a laissé les contrats en cours continuer en disant qu’il s’agissait de contrats privés, de pièces plutôt que d’armes complètes, ou encore de matériel non létal.
Nimâ Machouf estime que cette étape restait essentielle à franchir, malgré ses limites. « Même si la reconnaissance a été bidon, Israël ne voulait pas que le mot Palestine soit ancré aux Nations Unies. »
Selon elle, c’est pourquoi la mobilisation et ce genre d’actions sont essentielles. « Pourquoi Israël se permet de violer toutes les lois internationales? Parce que nos pays ne disent rien. Donc, si on veut qu’ils respectent les lois internationales, il faut les forcer. Le moyen économique est un très bon levier pour pouvoir forcer Israël à respecter ses normes internationales. Donc, il faut qu’on continue à travailler là-dessus. »
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