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Concentration médiatique

L’information canadienne sous l’emprise des monopoles

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Le 25 juillet, l'Étoile du Nord a publié le résultat de son enquête nationale sur la perception populaire des médias dans la société canadienne. Pour mieux comprendre cette longue marche vers la monopolisation entamée il y a plusieurs dizaines d'années, l'Étoile du Nord vous propose cet aperçu historique.

Dans les années 1980, le Canada comptait environ 120 journaux quotidiens, contre seulement 75 aujourd'hui. En parallèle, la proportion de journaux indépendants est passée d'environ 20% à 5% et plus de 200 diffuseurs communautaires ont été fermés par les plus grands monopoles médiatique, laissant environ 90% du public sans télévision communautaire locale. Au cours de cette période, le Canada est devenu l'un des cas d'école de la monopolisation médiatique à l'échelle mondiale.

En 2017, Postmedia et le Torstar, les deux plus grandes entreprises du secteur, ont échangé 41 publications dans le but d'éliminer instantanément 35 d'entre elles. Cela a mis fin à la concurrence dans de nombreuses localités et a provoqué le licenciement d'environ 300 personnes. Une enquête a révélé par la suite que les sociétés avaient échangé des courriels concernant cette opération à l'avance, et malgré cela, le Bureau de la Compétition a jugé les preuves insuffisantes pour justifier une intervention.

La fermeture simultanée de deux grands journaux quotidiens majeurs, le Winnipeg Tribune et l'Ottawa Journal, en août 1980, soulevait déjà des préoccupations quant au monopole croissant dans les médias canadiens. Cela avait conduit à la création de la Commission Kent sur les journaux, chargée d'enquêter sur ce phénomène.

Malgré les recommandations formulées par la Commission, les mesures prises par le gouvernement fédéral pour lutter contre les monopoles médiatiques ont été largement insuffisantes. Le changement de gouvernement dans les années 1990 a, en pratique, mis fin aux efforts pour réglementer davantage la concentration des médias. De plus, la couverture médiatique de cette monopolisation et les enquêtes qui ont été menées à ce sujet ont été plutôt limitées.

Les liens étroits entre les oligarques et les sociétés médiatiques au Canada sont préoccupants. Un exemple frappant est la famille Irving, qui détenait jusqu'à tout récemment tous les quotidiens et la plupart des hebdomadaires du Nouveau-Brunswick. Cette situation a changé avec la vente de neuf journaux à Postmedia, de loin le plus grand acteur des médias d'information du pays, effectué avec peu d'attention médiatique.

Bien que maintenant dans les mains d'un monopole formellement indépendant d'Irving, le dernier président exécutif du conseil d'administration de Postmedia porte un nom familier: Jamie Irving. Ces journaux ont tendance, encore aujourd'hui, à publier les communiqués de presse de la titanesque entreprise néo-brunswickoise en tant qu'articles d'actualité, ce qui soulève des préoccupations quant à la partialité de l'information reçue par la population.

K.C. Irving a été reconnu coupable de pratique monopoliste en 1972, ainsi condamné à une amende de 150 000 dollars et à la vente de deux quotidiens. La décision a été annulée quelques années plus tard par la Cour suprême du Canada, qui jugeait que les preuves d'un préjudice au public n'étaient pas suffisantes. La loi canadienne était déjà mise sous le feu des projecteurs, présentant ses lacunes.

La représentation la plus dramatique de cette influence corporative sur les médias s'est produite en mars 2018, alors que de nombreux présentateurs de différentes chaînes de télévision américaines ont lu à haute voix un discours mettant en garde contre les dangers des "nouvelles biaisées et fausses". Cet éditorial apparemment indépendant avait été publié par les médias locaux FOX, ABC et CBS, toutes possédées par Sinclair Broadcast Group.

Au Canada, cette influence est peut-être parfois plus subtile, mais les administrateurs et actionnaires des grands groupes médiatiques sont rarement indépendants. Leonard Sharpe, Président du groupe Postmedia Network inc., est aussi "directeur indépendant" de la Morguard Corporation, une compagnie de développement et opérations immobilières, ainsi que directeur de Clifton Blake Asset Management Ltd, une société de capital-investissement et de gestion d'actifs dans le domaine de l'immobilier.

Selon une enquête de 2021, un invité sur dix qui a commenté l'actualité au Canada était employé par des sociétés qui recevaient des paiements pour influencer l'opinion publique et la politique gouvernementale, et ce, même à Radio-Canada. Cela soulève des inquiétudes face aux possibles liens entre les directions des chaînes et le milieu privé. Les présentateurs qualifient souvent ces invités de "stratèges" en dépit de leurs intérêts conflictuels. Après les journalistes, les législateurs et les médecins, les lobbyistes et les spécialistes des relations publiques sont la quatrième profession la plus fréquente parmi les commentateurs à l'antenne.

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