L'Étoile du Nord

Démantèlement d’un campement

« Montréal s’attaque aux itinérants au lieu de s’attaquer à l’itinérance »

Temps de lecture:4 Minutes

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La police a violemment détruit un campement d'itinérants hier matin, dans l'est de la ville de Montréal. Assistés de camions et de pelles mécaniques, ils ont forcé les habitants des quelques abris de fortune du Parc Morgan et des alentours à partir. Une soixantaine de manifestants étaient présents et tentaient de les arrêter, sans succès. 

Les violences ont commencé tôt alors que dès 6h45, les policiers formaient un périmètre de sécurité autour du campement. Un organisateur communautaire du comité BAILS, Léandre Plouffe, a été arrêté tandis qu'il faisait un discours et qu'il ne constituait aucune menace.

La machinerie lourde est arrivée vers 8h, sous les huées de la foule. « À ce moment-là, il y avait un résident du campement qui était à l'extérieur de la ligne », explique à l'Étoile du Nord Guillaume Groleau, du collectif Refus Local. Le résident du campement voulait ravoir sa tente avant qu'elle soit détruite.

« Les policiers ont répondu qu'il ne pourrait pas passer. Là, il s'est retourné de bord, ne sachant pas quoi faire. Une chance qu'il y avait une intervenante derrière qui le connaissait. Elle a pu parler à sa place parce qu'elle est considérée comme légitime et lui, non. »

« On les présente comme s'ils étaient des sous-humains », ajoute Éric Groleau, lui aussi membre du collectif. « On les présente comme si c'étaient pas des citoyens. Ce sont des citoyens à part entière. »

Léandre Plouffe, détenu par le SPVM

Le Ministère des Transports du Québec a procédé au démantèlement suite à une demande de la Ville de Montréal et du controversé maire de l'arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, Pierre Lessard-Blais. Ces derniers ont utilisé le Règlement sur les nuisances, qui interdit tout campement dans l'espace public. De plus, ils les accusent de faire des « dépôts sauvages » de déchets.

Le problème? Les déchets en question sont bien souvent les effets personnels des personnes vivant dans les tentes. Les évictions de logement sont malheureusement communes, et les itinérants n'ont pas d'autres endroits pour mettre leurs biens.

« Ça a coûté combien cette opération-là ? », s'insurge M. Plouffe, en entrevue avec l'Étoile du Nord. « Ça a coûté combien de les expulser violemment, puis de détruire leurs biens, leurs biens qui sont aussi leurs habitations, leurs seuls logements? Ces gens-là, on les pénalise et on les persécute parce qu'ils trouvent des solutions imparfaites avec les moyens qu'ils ont. »

Selon Guillaume Groleau, le dernier décompte des gens vivant dans des tentes ou dans la rue s'élève à 4600. Il y aurait seulement 1600 lits au chaud disponible dans la ville. Ce genre de décompte est souvent une forte sous-estimation.

M. Groleau renchérit: « Au lieu de démanteler avec l'excuse de l'insalubrité ou des risques pour le feu, ils pourraient aller aider. Ils pourraient aller offrir des ressources pour se chauffer de façon sécuritaire et aussi peut-être aider pour faire la récolte des déchets, comme on le fait avec tous les autres citoyens. »

Un moratoire sur les démantèlements de campement?

L'opération était pratiquement finie vers 9h30. Léandre Plouffe pense que ce genre de chose risque de se reproduire de plus en plus, alors que le prix des loyers augmente et que les expulsions augmentent en parallèle:

« Il y a une poignée de personnes qui font beaucoup de profit là-dessus. Ils ont tout intérêt à continuer dans cette ligne dure-là, à violenter les gens qui ne se conforment pas à cette logique de produire, consommer et fermer sa gueule. »

Il continue: « Qui a accès à des recours, quand leurs droits ne sont pas remplis? Qui c'est qui va aider? Personne. Il faut payer. Et aujourd'hui, on se rend compte que de protester pacifiquement pour aider le monde, bien ça ne marche pas. »

Le militant du comité BAILS constate que les gens se sentent impuissants par rapport à la situation. « Personne ne sait comment on fait pour se sortir de cette impasse. Je pense qu'il faudrait être capable de dire c'est quoi. C'est le capitalisme, c'est l'État. »

Éric Groleau et Léandre Plouffe

« On a décidé d'ouvrir un marché 'd'un océan à l'autre' il y a quelques siècles de ça », poursuit-il. « Et aujourd'hui, on a développé l'habitation de sorte qu'on ne la répartit pas pour que chacun soit logé. Nous, ce qu'on demande, c'est tout simple, c'est un moratoire sur les démantèlements de campements. »

Éric Groleau fait valoir qu'en « démantelant le campement, on espère faire disparaître la misère visible. Mais ça ne la fait pas disparaître, ça. Ça permet simplement aux gens de vivre dans l'illusion qu'il n'y a pas de misère. »

« La Ville de Montréal, de toute évidence, a décidé de s'attaquer aux itinérants au lieu de s'attaquer à l'itinérance. Ce que nous avons vu aujourd'hui, c'est aussi que les citoyens qui ont des maisons, qui ont des appartements, sont venus ici pour soutenir les citoyens qui n'ont pas d'appartements et qui sont forcés à vivre dans des tentes. »

Il conclut: « La seule violence qui a eu lieu ici, c'est la violence de la Ville de Montréal qui a été à la origine de cette éviction-là. Parce qu'ici, c'était complètement pacifique. »

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