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Dans un geste qualifié d'inhumain visant à faire pression sur ses travailleurs en grève, Poste Canada a décidé de suspendre l'assurance collective de l'ensemble de ses employés. Les conséquences sont graves: l'employeur met en danger la santé ou même la vie de plusieurs travailleurs et leur famille. L'Étoile du Nord s'est entretenue avec une des victimes de cette mesure.
« Il y a des employés qui bénéficiaient d'assurance médicaments, pour eux ou une personne de leur famille, en cas de maladie », explique Pierre-Marc Allaire Dally, dirigeant syndical. « Maintenant, ils se retrouvent sans rien. » Il donne l'exemple d'un couple avec un enfant atteint de la leucémie. Ceux-ci n'ont plus de remboursement pour ses médicaments, d'une valeur d'environ 14 000$ par mois.
Le PDG de Postes Canada, Doug Ettinger, avait envoyé une lettre menaçante aux travailleurs le 12 septembre. Il les avertissait qu'en l'absence d'entente pour une nouvelle convention collective, il procéderait à des mises à pied massives et couperait les assurances collectives. Il a tenu parole.
Le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes (STTP) a mis l'Étoile du Nord en contact avec Sylvie, une travailleuse de la poste de la grande région de Montréal. Sylvie est un pseudonyme, la gréviste ayant souhaité demeurer anonyme par crainte de représailles patronales.
« Ma vie est entre les mains de Postes Canada »
« C'est une question de survie », déclare Sylvie. « Ma vie est entre les mains de Postes Canada. Si je n'ai pas accès à mon médicament, il va m'arriver quoi? Je ne peux pas manquer une seule pilule. » La travailleuse a été diagnostiquée avec un cancer du poumon de stade 4, incurable, au début de 2023.
Mais Sylvie se considère chanceuse dans sa malchance. Elle prend chaque jour un traitement qui pourrait rallonger son espérance de vie de plusieurs années. Elle a ainsi décidé de retourner à sa vie quotidienne et de faire ce qu'elle aime: passer du temps avec sa famille, voyager et travailler chez Postes Canada.
« D'avoir eu un retour au travail, ça m'a donné espoir », souligne-t-elle. « Ça me fait oublier ma maladie. Je mange bien. Je prépare mes repas. Je vais travailler. Je suis avec mes collègues. On a du plaisir. »
Avant le début de la grève, le syndicat avait déjà commencé à préparer ses membres à la possibilité d'une coupure des assurances collectives. Le STTP a ainsi suggéré aux travailleurs de récupérer leurs doses de médicaments pour plusieurs mois à la pharmacie.
C'est ce que Sylvie a tenté de faire, mais la demande lui a été refusée. « Le médicament coûte près de 10 000$ par mois. Donc, tu peux pas partir avec trois boîtes. » Elle a tout de même réussi à récupérer des doses qui la mèneront jusqu'au 28 décembre.
« Ça fait que moi, je me débats dans l'eau bénite. Je veux mon médicament. J'ai fait près de 25 appels. J'étais toujours dans l'attente, l'inquiétude, le stress. Dans ma situation, je ne peux pas me permettre d'être stressée. »
Le retour que Sylvie a reçu de l'assurance et des ressources humaines de Postes Canada a été très froid. « AccèsRH et Canada Vie me disait, 'on a eu la directive de ne plus vous donner accès à vos assurances'. Postes Canada refuse. J'ai dit, 'vous allez me laisser mourir sur la ligne de piquetage?' Ils ont répondu que c'est la directive qu'ils ont eue de Postes Canada. »
Elle s'insurge: « Il faut que la population le sache. Ce qu'on vit chez Postes Canada, ce n'est pas juste des enjeux d'augmentation de salaire. On a payé pour nos assurances! Puis là, maintenant, on nous empêche d'y avoir accès. On ne parle pas d'une petite crème de cortisone. C'est un traitement chimio! »
« Je les défie, ceux qui prennent ces décisions-là. S'ils ont des gens comme moi dans leur famille, est-ce qu'ils diraient "Ok, on te coupe ta médication, toi" », ajoute-t-elle? « Je ne suis pas la seule dans cette situation-là. J'en ai connu d'autres, là, qui ont des 8 000$ à payer. Il y en a qui sont à l'hôpital. »
Les démarches de Sylvie ont duré près de trois semaines. « Chaque jour compte. Puis, tu veux les vivre pleinement et non pas dans l'insécurité, le stress. Depuis le début, mon corps tremblait. »
Mais hier, coup de chance. Sa vingtaine d'appels ont peut-être porté fruit, alors que le service d'oncologie de l'hôpital a réussi à trouver une entente avec la Régie de l'assurance maladie. Elle attend toujours que son médecin remplisse toute la paperasse. Mais après trois semaines d'enfer, elle pourrait bien avoir obtenu ses médicaments pour la durée de la grève.
Sylvie mentionne qu'elle croit être chanceuse d'avoir l'énergie pour faire toutes ces démarches, ce qui n'est pas le cas de tous. « Même si la RAMQ m'a téléphoné hier, et que je suis en sécurité, il y en a d'autres qui ne sont pas dans ma situation. Ça fait que, si mon témoignage d'aujourd'hui peut leur aider à se faire entendre, tant mieux. »
« Tu sais, j'étais fière quand j'ai été embauchée à la poste. Là, c'est… J'ai honte. J'ai un soutien énorme de mes collègues. Mais je me suis sentie abandonnée par Postes Canada, comme d'autres qui sont malades. »
Une pratique belliqueuse
La société d'État prend en charge 95% des primes d'assurances collectives à partir des profits issus du travail de ses employés, alors que ces derniers payent 5% directement de leur salaire.
Selon de nombreux fournisseurs, une prime d'assurance collective moyenne au Canada serait de 125$ à 335$ par mois. Un calcul rapide, basé sur un juste-milieu de 230$, permet de constater que Poste Canada aurait déjà économisé plus de six millions de dollars sur le dos de ses employés. C'est 8% de son déficit déclaré pour l'année, en deux semaines.
La loi québécoise impose aux employeurs de maintenir les assurances collectives pendant au moins 30 jours après le début d'une grève. De plus, les assureurs sont obligés de permettre aux travailleurs de transformer leur régime collectif en régime individuel après ces 30 jours. Mais Postes Canada est de compétence fédérale.
Dans le reste du Canada, la loi ne prévoit pas ce genre de protection. Mais il est tout de même commun que des ententes surviennent entre les parties pour les conserver. Fred Hahn, le président du Syndicat Canadien de la Fonction Publique (SCFP), disait toutefois au début de l'année que les relations étaient de plus en plus tendues avec le patronat à ce sujet.
Même si c'est un service essentiel, les entreprises tendent de plus en plus à retirer les assurances lors des grèves. C'est une pratique plutôt belliqueuse, qui tend à mettre de l'huile sur le feu de la colère des grévistes.
Un soutien inébranlable à la grève
Malgré sa condition, Sylvie est présente toute la semaine sur les piquets de grève. « On approche des fêtes et avec le Black Friday, les gens achètent beaucoup. Postes Canada doit bien être conscient qu'ils ont des pertes aussi! Donc, on veut que ça fonctionne. On veut que les gens aient leurs colis. On veut travailler. On veut les servir. »
« Mais là, ça s'éternise. On commence la troisième semaine, qu'est-ce qui va arriver? Aucune idée. Mais j'appuie mes collègues, parce que je sais qu'il y a des enjeux. On vit des reculs à chaque fois. C'est dommage que la population se fasse dire que les travailleurs de Postes Canada sont des méchants, mais non, ce n'est pas ça. »
Sylvie rappelle plutôt les bonus que se versent les patrons et les superviseurs de Postes Canada. « C'est bien beau leurs petits bonus. Mais nous autres, on n'en a pas. S'ils l'ont le bonus, c'est parce que c'est nous autres en bas, sur le plancher, qui faisons le travail pour qu'ils le touchent. Qu'ils descendent, qu'ils viennent le faire, le travail. »
Elle conclut: « C'est un cri du cœur que je leur lance. Je me bats pour ma survie et je trouve ça triste que Postes Canada soit de la partie pour m'empêcher de me soigner. Je veux me soigner, je veux vivre. C'est inacceptable et je n'accepte pas l'inacceptable. Je ne me laisserai pas faire. »
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