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Même si le droit de faire la grève est reconnu par la Cour suprême, ça ne semble plus vouloir rien dire. Dans les dernières semaines, le gouvernement fédéral a forcé le retour au travail de centaines de travailleurs des ports de Montréal, Québec et Vancouver. Alors que les patrons semblent satisfaits de la situation, les syndicats s'indignent de perdre leur rapport de force.
L'annonce du ministre du Travail, Steven MacKinnon, a été largement condamnée par le mouvement ouvrier, qui veut contester la décision devant les tribunaux. Dans un communiqué de presse, Mark Hancock, président national du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), a déclaré:
« L’Association des employeurs maritimes [AEM] décrète un lock-out et, parallèlement, se plaint au ministre du chaos provoqué au pays par ses propres actions. Le ministre invite les employeurs à miner les droits fondamentaux des salarié(e)s plutôt qu’à répondre à leur demande d’une meilleure conciliation travail-vie personnelle ».
L'ordonnance de retour au travail, que le ministre a demandée au Conseil canadien des relations industrielles, concerne les ports de Colombie-Britannique, de Montréal, et de Québec.
Vancouver
Les travailleurs du port, mis en lock-out par la BC Maritime Employers Association (BCMEA) depuis le 4 novembre, ont été forcés de retourner au travail le jeudi 14 novembre.
Bien que les membres de l'ILWU 514 aient donné au syndicat un mandat de grève de 96%, ils ne l'ont pas appliqué. Au lieu de cela, après avoir été informé lundi dernier que le syndicat arrêtait de travailler les heures supplémentaires, l'employeur a déclaré le lock-out. Il a ainsi fermé le plus grand (Vancouver) et le troisième plus grand (Prince Rupert) port du Canada.
Les pourparlers de médiation entre la BCMEA et le syndicat se sont brusquement terminés samedi 9 novembre, lorsque l'employeur a quitté les lieux moins d'une heure après le début de la session de trois jours prévue.
Montréal
À Montréal, les membres du syndicat ont déclaré la grève générale illimitée à la fin octobre. Le 10 novembre, l'AEM a mis les ouvriers en lock-out, en représailles au refus de leur dernière offre. Suite à l'annonce de l'arbitrage exécutoire, les travailleurs ont été forcés de retourner au travail le samedi 16 novembre.
L'AEM offrait 20% d'augmentation salariale sur six ans, loin de pouvoir rattraper l'inflation des dernières années. Le syndicat veut 20% sur quatre ans. De plus, le syndicat veut plus de contrôle sur les horaires atypiques, qui sont particulièrement fatigants pour leurs membres.
Le président du SCFP-Québec, Patrick Gloutney, déclarait par communiqué que « c’est une journée sombre pour le droit des travailleuses et travailleurs. Le droit de négocier collectivement est un droit constitutionnel. Ce n’est pas un droit négociable. »
« Dans le cas du port de Montréal, c’est ahurissant, ajoute-t-il. « L’employeur a décrété le lock-out et a tout de suite demandé l’intervention du gouvernement, sans réellement négocier. Les citoyennes et citoyens de ce pays devraient être très inquiets. »
Québec
Le cas du port de Québec est particulier. Les débardeurs y sont en lock-out depuis 26 mois. L'employeur empêche ses travailleurs d'aller travailler depuis 2022, tout en engageant des scabs—des travailleurs de remplacement qui viennent faire le travail pour moins cher, avec de moins bonnes conditions.
Le gouvernement fédéral a adopté une loi plus tôt cette année limitant cette pratique, déjà interdite dans la loi provinciale. La loi ne prendra effet qu'en juin 2025.
Toute cette histoire a permis à l'AEM d'attendre que le gouvernement force l'arbitrage et le retour au travail. Ils savaient qu'ils ne seraient pas dérangés avant l'année prochaine, et ont pu faire fonctionner le port à plus bas coût, augmentant leurs profits.
« La loi anti-briseurs de grève devrait être en vigueur immédiatement, car si on l’avait déjà, le conflit au port de Québec aurait été réglé il y a fort longtemps. L’employeur aurait été forcé de négocier », conclut M. Gloutney.
L'État et les patrons main dans la main
Les travailleurs des deux plus grandes lignes ferroviaires du Canada ont également reçu l'ordre de reprendre le travail à la suite d'un lock-out décrété par l'employeur en août. Pourtant, la méthode employée par le gouvernement est inhabituelle. Autant dans le cas des chemins de fer que des ports, il a utilisé son pouvoir exécutif pour ramener les ouvriers au travail au lieu de passer par le Parlement.
Cependant, le nombre important d'interventions dans des conflits de travail et la méthode utilisée n'impressionnent pas Alexis Lafleur-Paiement, doctorant en philosophie politique et chargé de cours à l’Université de Montréal.
Il explique qu'en général, « l’État adopte deux attitudes face aux conflits de travail: soit il n’intervient pas, soit il intervient en faveur des patrons. C’est extrêmement rare que l’État intervienne en faveur des travailleurs et, lorsqu’il le fait, c’est toujours à cause de la pression des travailleurs. » Il donne l'exemple de la loi anti-briseur de grève, adoptée au Québec en 1977, pour calmer les tensions suite à plusieurs grèves violentes.
Également spécialiste de l'histoire politique, de la Constitution, des enjeux législatifs et des conflits sociaux, M. Lafleur-Paiement ajoute que l'État a toujours un préjugé favorable envers le patronat. « En effet, les ministres sont souvent eux-mêmes issus des milieux d’affaires et gardent des intérêts dans l’industrie. Par exemple, le ministre du Travail du Canada, Steven MacKinnon, a longtemps œuvré pour la firme milliardaire et multinationale Hill & Knowlton, spécialisée dans le lobbying des entreprises. »
« De plus, il ne faut pas oublier que les gouvernements sont eux-mêmes les patrons de centaines de milliers de fonctionnaires. Plus largement, les gouvernements du Parti libéral ou du Parti conservateur véhiculent le mythe comme quoi la richesse provient des entreprises, alors qu’elle vient plutôt des travailleurs qui la produisent. Les intérêts des gouvernements et des grands actionnaires se recoupent donc au niveau personnel, institutionnel et idéologique. »