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Le projet de loi en matière d'habitation déposé le 9 juin par la ministre France-Élaine Duranceau suscite de vives inquiétudes parmi les locataires. Cette loi permettrait aux propriétaires de refuser une demande de cession de bail sans motif sérieux, rendant difficile la protection contre les hausses de loyer abusives. Des associations de locataires considèrent cette mesure comme un recul sérieux dans leurs droits et dénoncent le fait de ne pas avoir été consultés lors de l'élaboration du projet de loi. Une manifestation s’est tenue le 22 juin à Montréal en protestation.
Selon Alexis Lafleur-Paiement, chargé de cours en philosophie à l’Université de Montréal et spécialiste des idées et des institutions politiques, la nomination de France-Élaine Duranceau en tant que ministre de l'Habitation en octobre 2022 est révélatrice de la vision politique du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Lafleur-Paiement explique que « Duranceau est une investisseuse immobilière qui représente directement les intérêts des propriétaires et des sociétés d'investissement. Comme sa prédécesseuse, Andrée Laforest, elle met de l'avant des politiques favorables aux propriétaires et néglige la crise du logement. »
Lafleur-Paiement souligne également que la ministre Duranceau elle-même a participé à des pratiques discutables, notamment des « manœuvres douteuses afin d'expulser des locataires avant de transformer leurs logements en condominiums vendus au prix fort. »
Mettant en évidence le conflit d'intérêts potentiel entre les droits des propriétaires et la protection des droits des locataires – ainsi que le côté qu’elle a choisi – la ministre Duranceau a déclaré lors du dépôt du projet de loi que « cette histoire-là de cession de bail, ou de magasinage de baux entre locataires, c'est une entrave au droit de propriété des propriétaires. »
Le Québec jouit de lois qui protègent généralement davantage les locataires que le reste du Canada, voire même les États-Unis. Cependant, selon Lafleur-Paiement, le gouvernement québécois, représenté par la CAQ, accorde visiblement plus d'importance à la capacité des propriétaires à réaliser des profits qu'à la protection des droits collectifs de la population.
Les droits des locataires au Québec ont été acquis grâce à de longues luttes et au mouvement ouvrier. En opposition à cela, « les propriétaires, souvent avec l'appui des gouvernements, se sont battus pour maintenir leur privilège de renvoyer les locataires, d'augmenter les loyers, de ne pas s'occuper de leurs logements » explique Lafleur-Paiement.
La proximité entre les politiciens et le monde des affaires est une réalité dans de nombreux partis politiques, y compris la CAQ. Lafleur-Paiement souligne que ce genre de situation existe aussi au Parti Conservateur du Canada, au Parti Libéral du Québec et du Canada, pour ne nommer qu’eux. Il explique que cette situation de copinage est inhérente à une société capitaliste, où les élites politiques et économiques travaillent dans leur propre intérêt plutôt que pour les droits de la population en général.
« Ce qu’on voit, ce sont des personnes qui, en politique comme dans le monde des affaires, ont des objectifs et des intérêts communs, notamment de faire fructifier les profits de la grande entreprise. Les politiciens et les gens d’affaires s’entraident régulièrement, ce qui crée par principe des conflits d’intérêts qui sont régulièrement dénoncés, mais rarement punis. »
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